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se couvrirent de fleurs, et les buissons s’enchantèrent du gazouillement des oiseaux. La pauvreté fut aimée et servie, comme une dame très noble, avec une sorte de grâce chevaleresque ; on l’honora comme la compagne du Sauveur, montée avec lui sur la croix ; on eut la jalousie de ses faveurs ; on la célébra plus suavement qu’on n’eût célébré les princesses de la terre. Les mains des pauvres Frères devaient rester pures de tout contact avec le métal monnayé. Cette réalité chrétienne fut plus belle que le rêve de Platon : « Il faut leur dire, enseigne le philosophe, traitant de l’éducation qui convient aux défenseurs de la cité, il faut leur dire qu’ils ont dans l’âme un or et un argent divins donnés par les dieux, et qu’ils n’ont pas besoin des richesses humaines, et qu’il ne leur est pas permis de corrompre l’or divin qu’ils possèdent par le mélange de l’or terrestre ; à eux seuls, de tous ceux qui sont dans la cité, il ne sera pas permis de toucher ni d’échanger de l’or. » Mais, s’il les voulait sévères, Platon aimait la beauté de l’art et l’élégance des lignes. Comment fût-il demeuré indifférent au prestige des choses délicieuses, selon le mot d’un ancien, qui se trouvaient en Hellas ? Les Frères mineurs recherchaient avant tout, par-dessus tout, l’humilité, la pauvreté d’esprit, cette vertu de l’Évangile, dont l’antiquité païenne, n’a jamais su le nom, car ils songeaient que l’absence du contact matériel de l’or serait peu de chose, si la moindre pensée de complaisance envers cet or effleurait leur âme.

Pourtant, le souffle d’Ombrie fit éclore aussi la floraison des pierres ; on dit qu’elles ont leur automne : alors, elles eurent leur printemps ; l’architecture s’enhardit, les murs se couvrirent de fresques, et des poèmes s’épanouirent sous les fronts pensifs…

C’est une destinée mieux que royale de s’en aller à travers le monde, en robe de bure, prêcher la vérité, l’amour, la joie et la pauvreté, de parler aux puissans et aux humbles ; de s’incliner sur les faibles et les petits ; de marcher, une grâce sur les lèvres et des rayons plein les yeux, de porter, comme une parure, les stigmates-mêmes du Sauveur, et d’entraîner tout un siècle à sa suite : rois, princes, pèlerins, moines, vassaux, manans, dans une folie de conquête et d’ascension. Telle fut la destinée de François, le fils du marchand d’Assise. Largement, ce pauvre distribua la joie aux hommes, en puisant à pleines mains dans le trésor de Dieu.

L’impulsion était donnée : il y eut une école de poésie franciscaine.