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de Luçon ne pourra jamais s’entendre avec eux, tant ils redoutent son intelligence et son talent. » L’ambassadeur vénitien témoigne de sa réserve (mars 1623) : « Les conseils se tiennent dans la chambre de la Reine-Mère et le cardinal de Richelieu affecte de plus en plus de s’éloigner du gouvernement. »

Voulons-nous saisir au naturel le jeu des subalternes et même de la valetaille : tout ce qui entoure la Reine-Mère vient faire ses confidences au résident florentin. Ce diplomate n’aime pas le cardinal. Il écrit : «  J’ai été mis au courant par le moyen des femmes de chambre et de l’apothicaire, étant très familier avec ces gens de mon pays : Ils viennent souvent exhaler confidentiellement avec moi leur passion et particulièrement celle que fait naître en eux la domination superbe et intéressée du cardinal qui veut tenir bas, soit par ambition, soit par avarice, tous les autres serviteurs de la Reine… Ils me dirent que ce cardinal seroit encore la cause d’une nouvelle ruine pour la Reine, parce que le Roi ne pouvoit pas le souffrir ;… ils me dirent aussi que le Roi avoit, à ce propos, lancé de la belle façon quelque brocard à la Reine ; mais qu’elle ne veut pas comprendre. » Et voici un seul mot qui, à lui seul, résumerait tout : « M. le cardinal de Richelieu qui, pour sa valeur personnelle, est très redouté… » Il faut finir par cette phrase écrite encore par le résident florentin, le 16 février 1624, et qui prouve que, jusqu’au dernier moment, la cabale n’a pas désarmé : « Le Roi, dit-il, voudrait bien que la Reine sa mère acceptât que le cardinal de Richelieu s’en allât pour quelque temps à Rome et qu’elle voulût bien se servir pour principal ministre de M. de Brèves ou d’un personnage semblable… C’est là la raison qui met encore quelque obstacle à une entente complète entre le Roi et sa mère ; car, il est très certain qu’aujourd’hui, il n’y a plus de mésintelligence entre eux ; mais le Roi ne peut pas s’empêcher d’avoir en tête certains scrupules relatifs non pas à la fidélité, mais à l’esprit altier et dominateur du cardinal. »

La preuve est faite : mais il fallait faire cette preuve. Jamais un homme en passe du pouvoir ne fut mieux compris, mieux deviné, plus impatiemment attendu par ses contemporains ; jamais un homme n’eut, autour de lui, un tel cortège d’estime, de vœux et d’applaudissemens ; jamais un homme ne fut, dans toute la force du terme, « appelé » comme le fut Richelieu. Il avait été ministre quelques mois à peine, dans les temps troubles