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monarchie de Juillet s’écrouler et naître la République de 48 : il a vu le second Empire et la troisième République. Né en 1802, mort en 1885, mêle à la vie fiévreuse de tout un siècle, il en a été le grand écho ; il a pensé, marché avec le siècle ; et se plaindre qu’entre temps ses idées se soient modifiées, c’est se plaindre qu’il eût un cœur et un cerveau.

Sur un point, d’ailleurs, il n’a jamais varié. Toujours il a eu foi au progrès, confiance dans l’œuvre de la raison humaine, dans la vérité et la fécondité des principes que le XVIIIe siècle a établis ; toujours il a cru au rôle civilisateur de la France, à la beauté et à l’avenir de la civilisation.


Ce siècle est grand et fort, un noble instinct le mène,


s’écriait-il en 1837, dans les Voix intérieures ; et en 1830 déjà, dans les Chants du crépuscule, il avait dit :


Oh ! l’avenir est magnifique !
Jeunes Français, jeunes amis,
Un siècle pur et pacifique
S’ouvre à vos pas mieux affermis !…


Sa foi au progrès n’avait point faibli en 1862, lorsqu’il publiait les Misérables, lorsqu’il y montrait toutes les tares et toutes les plaies de la société moderne. Il les montrait, parce qu’il les croyait guérissables, parce qu’il en croyait la guérison prochaine. Son robuste optimisme n’a jamais été plus affirmatif et plus confiant qu’à cette heure-là. J’ai cité les lignes : « Tant qu’il existera par le fait des lois et des mœurs une damnation sociale… » Tant qu’il existera des hommes, des femmes, des enfans, que la misère torture et avilit ? Cela doit donc un jour cesser ?… Hugo en est convaincu, et il l’a dit vingt fois dans son livre.

Mais ce mot de « progrès, » qui revient si volontiers sous sa plume, que représente-t-il au juste pour lui ? Il est permis de se le demander, les métaphores et la belle rhétorique tenant souvent lieu chez lui de formules précises et d’idées. Il nous dit dans les Misérables : « Substituez l’aurore au crépuscule, le jour à la nuit, la lumière aux ténèbres, voilà le progrès. » Il dit : « Détruisez la cave Ignorance, vous détruirez la taupe Crime… Condensons en quelques mots une partie de ce que nous venons d’écrire : l’unique péril social, c’est l’ombre. » Cette ombre