Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/880

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

depuis que je vis ! A chaque fois, les vieilles plaies se renouvellent plus cuisantes, et cependant je suis plein d’espérance divine, et je sais que je retrouverai dans l’éternelle vie ceux que j’ai aimés et qui ne sont plus. La douleur vit côte à côte avec les consolations de ma foi.

Je travaille toujours, cher ami, avec une ardeur croissante, et j’avance dans mon œuvre. J’estime en avoir fait le tiers. J’écris en ce moment le sixième chapitre. Que ne puis-je vous avoir à mes côtés, dans une des cellules voisines de la mienne ! Je vous lirais mes pages à mesure que je les rédige, et vous seriez mon Mentor, avec cette douce sévérité qui fait les bons juges et que l’amitié seule inspire.

Ma vie laborieuse est pleine de joies profondes. Chaque difficulté vaincue, — et j’en rencontre jour par jour, — est une fête intime. Je ne connais pas de bonheur plus grand que celui du travailleur, de l’artiste aux prises avec son œuvre : il la voit peu à peu, à force de labeur, sortir vivante de son âme.

Vous voilà relancé aussi dans votre vie de travail. Heureux mortel que vous êtes ! Chaque jour, vous avez la consolation de vous retrouver, après le labeur, au milieu des vôtres. Vous ne connaissez pas l’âpre solitude, vous n’en avez eu qu’un avant-goût dans les jours de Corbara. C’est une rude existence, mais elle a ses douceurs divines, quand on aime Dieu, quand on accomplit sa destinée, quand on est fidèle à son devoir ; je ne connais pas d’autre joie,… si ce n’est celle des amitiés comme la vôtre.

J’ai une douce espérance, ami, à vous donner. Je compte faire un voyage à Paris vers la mi-novembre. J’irai prêcher la petite retraite de la Mère S…, ce qui me procurera le plaisir intense de vous revoir. Vous me garderez une place, un jour, au dîner de famille…, mais tout à fait entre nous. Je ne voudrais pour rien au monde que mon séjour à Paris fût ébruité.

A vous, mon ami, de tout cœur.


Flavigny-sur-Ozerain, 25 décembre 1887.

Mon cher ami,

C’est demain la Saint-Étienne. Je vous envoie tous mes vœux de bonne fêle. Comme je voudrais pouvoir vous les porter ! Je serai présent d’esprit et de cœur au milieu de vous, demain soir, je m’unirai par la tendresse d’une vieille amitié aux souhaits de votre femme et de vos filles, du fond de ma solitude.