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ferai-je que le traverser. Je suis résolu à me retirer dans la solitude de la Sainte-Baume, en Provence, pour y achever ma Vie de Jésus-Christ.

Nous voilà donc, cher ami, séparés pendant de longs, très longs jours.

Que Dieu vous garde tous dans la paix et dans la santé, qu’il vous protège contre tout mal et qu’il réalise mes vœux ardens pour le honneur de vos filles et pour le vôtre !

Je vous embrasse de tout mon cœur. Le vendredi, quand vous dînerez tout à fait en famille, pensez quelquefois à l’ami absent qui sera, en esprit, au milieu de vous.


Jérusalem, 21 décembre 1886.

Mon cher ami,

Je ne suis arrivé à Jérusalem que le 17 de ce mois. J’y ai trouvé vos trois lettres et j’ai été très affligé de la peine que vous a causée mon silence. Il faut me pardonner cela. Je suis un voyageur muet. Je me nourris de ce que je vois, j’en suis violemment impressionné, absorbé, et j’ai dû vous dire, en vous quittant, de ne pas trop compter sur mes lettres. Le cœur n’est point refroidi, au contraire. Et vous le trouverez toujours tel que vous l’avez connu aux heures où il doit se montrer.

Je suis resté en Égypte plus de six semaines, retenu par l’indisposition d’un de mes compagnons de voyage. J’ai profité de ce temps pour remonter le Nil jusqu’à la première cataracte, et visiter à mon aise les ruines prodigieuses de la vieille Égypte, ses temples et les tombeaux creusés dans le roc de ses Pharaons. J’ai fait ainsi quatre cents lieues sur le fleuve divin. Le spectacle de cette nature m’a ravi : ce ciel sans nuages où il ne pleut jamais ; ces deux chaînes de montagnes, l’Arabique au levant, la Libyque, à l’occident entre lesquelles le Nil coule ; ces roches nues, sans arbre, sans un brin d’herbe, sans une mousse, mais revêtues d’une lumière dorée ; cette atmosphère d’une transparence absolue ; ces rives toujours les mêmes, couvertes de douras et parsemées de palmiers ; ces fellahs moitié nus, puisant avec leur schadouf l’eau du fleuve et arrosant, en chantant, leur terre ; ces oiseaux étranges alignés sur le sable comme une armée, ces pélicans, ces ibis, ces grues, vous regardant, sans s’effaroucher, d’un œil étonné et mystérieux. Tout ce tableau, se