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communion. Cela m’a donné l’idée qu’un jour, — un jour prochain peut-être, — je me ferais l’apôtre des paysans. Je m’en irais sans bruit de village en village, et j’annoncerais aux braves gens l’Evangile, la parole qui console, qui relève, qui sauve.

Vous voyez que je suis en veine d’ambition : je vous dis cela très sérieusement.

Dans l’attente de ces jours-là, je travaille sans relâche à ma Vie de Jésus. Il me faudra plus de dix-huit mois pour l’achever. Quand le manuscrit sera complet, je me mettrai en route pour Rome, afin d’obtenir du grand maître l’estampille et le sceau. Si je réussis, je publierai mon volume ; sinon, je ferai ce que je vous ai dit. Je me sauverai vers les ruraux. C’est bien meilleur que les académiciens.

Ma santé est parfaite, je le juge à mon entrain pour le travail. Les eaux de Vichy, cette année, m’ont été très salutaires. Je ne désire qu’une chose, c’est que les forces dont j’ai fait provision ne s’épuisent pas trop vite.

Et vous, mon cher grand paresseux, vous vous reposez pleinement : ce n’est pas moi qui vous blâmerai. Votre année est assez remplie pour que vous ayez le droit de vous laisser vivre, en regardant la mer, l’horizon infini, le ciel surtout.

Là, dans ce regard de l’esprit, dans cette aspiration de l’âme, est le vrai repos. J’ai le sentiment profond du Père qui mène tout et que la nature nous révèle, et que la conscience nous fait aimer.

Adieu, je vous charge de tous mes complimens pour votre chère femme et je suis heureux de savoir vos enfans en belle santé. Je suis à vous d’un cœur ami.


Le Touvet, 4 juin 1885.

Mon cher ami,

Je suis au Touvet, depuis deux jours, dans ce coin de terre qui garde, avec la tombe de ma mère, mes meilleurs souvenirs. Vous devinez, vous qui, comme moi, avez eu une sainte mère, toutes mes émotions auprès de ce tombeau où j’aime à prier. Il me semble que j’entends encore la voix de ma morte bien-aimée : son âme remplit la mienne, et, chaque fois que je reviens m’agenouiller sur celle pierre, j’y trouve quelque inspiration divine. Il y a là, pour moi, une source d’eau vive toujours