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les promesses que l’on pourra faire, les réduisant toutes à l’effet, non aux paroles… N’ayez pas honte de publier que la Reine est extrêmement nécessiteuse ; supposez des dettes, faites saisir son revenu… Sa misère, opposée à l’opulence orgueilleuse de ses ennemis, frappera un grand coup pour elle dans les corps des communautés, quand on considérera une grande reine, veuve et mère de deux grands rois, réduite à une vie privée et nécessiteuse par l’insolence d’autrui… Ceux auxquels vous avez affaire veulent tout tenir sous leur puissance ; c’est ce qu’il vous faut prévoir d’heure et n’avez que le prétexte d’une vie à demi conventuelle pour échapper de leurs mains… Il sera aussi à propos de faire courir le bruit que la Reine est, à présent, fort opiniâtre en ses résolutions, se laissant parfois emporter à des fantaisies dont on ne peut aisément la détourner ; qu’elle se forme des mécontentemens, tantôt contre les uns, tantôt contre les autres de ses plus familiers, et que cela soit semé parmi les domestiques, tantôt feignant qu’il y en a de disgraciés, tantôt travaillant pour les rétablir en grâce ; tout cela bien joué… ainsi on gagnera du temps… » Et enfin, ces conseils tout directs sur l’affaire qui tient le plus au cœur à l’évêque de Luçon, celle du cardinalat : « Si vous n’avez pas présentement vos expéditions de Rome, il semble que ne devez vous embarrasser davantage à la poursuite… Il faut alors que la Reine et vous acquériez du crédit parmi les bons François, que vous ne fassiez point paroître d’avoir une intelligence avec les maisons ou religions qui sont suspectes à la France (les Jésuites), et la Reine ne feroit pas peu pour ses affaires, si elle prenoit quelquefois un bon docteur de Sorbonne et quelque bon chartreux pour se confesser et, pour prédicateur, quelqu’un qui fût d’un autre habit que le P. Arnoux… il vous en réussira un plus grand bien qu’il ne semblera à plusieurs ; il y a de grandes particularités à vous entretenir là-dessus… »

Quelle singulière hardiesse, quelle complexité et quelle fécondité de ressources, quelle astuce déliée et impudente, quel irrespect et quel scepticisme dans ce langage tenu à un évêque par un prêtre, quelle assurance détachée dans ces aphorismes que l’auteur de la lettre appelle lui-même des maximes d’État ! Qui donc osait parler ainsi, en face, à Richelieu ?

Fancan, il est vrai, était téméraire. Il aimait à donner des conseils qu’on ne lui demandait pas. Il tranchait volontiers du