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faut qu’il parle : et le gouvernement est un secret. En parlant, il s’engage : or, la première loi que doit se faire un ministre fidèle est de n’avoir d’autre engagement que le service du monarque. Enfin, en se prononçant, avec liberté, sur les actes qui s’accomplissent par la volonté du prince (fût-elle séduite ou égarée), il risque de s’aliéner pour toujours la faveur royale.

Ayant mesuré ces difficultés, Richelieu, poussé à bout, entre cependant dans les voies périlleuses de l’appel à l’opinion ; mais avec quelle prudence, quel tact, quelle magistrale sûreté ! Les grandes affaires qui agitent le monde sont toutes présentes à son esprit au moment où il dessine son premier mouvement comme chef de l’opposition et où il soulève, devant le public, les voiles qui recouvrent encore la politique qui sera bientôt celle du premier ministre et de l’homme d’Etat. D’ailleurs, il parle à peine ; on l’entend à demi-mot. L’opposition, connaissant le prix d’un tel concours, se précipite vers lui, l’entoure, le presse. Lui, écoutant beaucoup, laisse percer son sentiment ; et cela suffit.

Son cabinet devient ainsi, rapidement, le centre d’un grand mouvement d’opinion dont les vibrations se répandent de proche en proche et qui vont agiter tout le royaume.

En l’année 1621, le problème protestant et le problème monarchique étaient posés en France et en Europe de telle sorte qu’il fallait opter : faire la guerre au dehors ou faire la guerre au dedans-. Luynes, au nom du principe monarchique et du principe catholique, se décidait pour la guerre intérieure. L’évêque de Luçon, non seulement par situation et par caractère, mais surtout par une vue plus large et plus complexe des choses, eût préféré la guerre extérieure. En agissant ainsi, chacun des deux partenaires était dans son rôle.

Les esprits élevés ont cette fortune que les esprits moindres ne démêlent jamais les grands services, même dans les grandes circonstances. La capacité se révèle au choix et à la grandeur des entreprises. Les esprits médiocres se tiennent aux occasions médiocres et aux chemins battus. Ils croient qu’ils ont beaucoup fait quand ils n’ont rien compromis. Il était naturel que Luynes fit passer avant tout la difficulté intérieure qui le louchait directement : sa faveur n’était-elle pas la principale affaire de l’État ? Il était naturel aussi que Richelieu portât ses vues sur la difficulté extérieure, qui demandait une tout autre portée d’esprit. Il savait, lui, que les affaires intérieures s’arrangent toujours,