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des « pierres d’attente » pour la conquête future. Étranges « pierres d’attente » en vérité, qui attendent depuis les temps d’Isabelle et de Charles-Quint et qui, depuis lors, n’ont servi à leurs possesseurs ni à étendre leur influence ni à augmenter leur négoce ! Et de quelle valeur peuvent être des « têtes de pont, » qui ne sont que des impasses d’où l’on ne peut s’élancer pour la conquête ou pour le commerce ? Il suffit de parcourir les Presidios pour y constater l’état d’abandon où ils ont été laissés trop longtemps. Ceuta, dans une position magnifique et qui pourrait être un autre Gibraltar, n’est qu’une médiocre forteresse ; du côté du Maroc, son territoire, très exigu, et fermé par des montagnes, n’est le point de départ d’aucune route naturelle de pénétration vers l’intérieur ; en 1859, l’armée d’O’Donnell éprouva les plus grandes difficultés à en sortir. Le Penon-de-Velez-de-la-Gomera et Alhucemas sont des pénitenciers ; juchés sur des rochers, dans des îlots stériles de la côte rifaine, ils reçoivent tout d’Espagne, jusqu’à l’eau douce ; avec les tribus du voisinage, ils n’échangent que des coups de fusil ; les indigènes haïssent tellement les Espagnols, qu’ils refusent même de leur vendre des vivres et qu’ils se relayent pour monter une garde continuelle et les empêcher de débarquer sur le rivage. Melilla, plus importante, a quelques commerçans juifs et pratique en grand la contrebande ; les Rifains y viennent s’approvisionner de poudre, d’armes, de marchandises de toute sorte qu’ils colportent, ensuite, dans tout le Maroc oriental et jusqu’aux oasis du sud. Mais, peu intimidés par la nombreuse garnison qui s’exerce et parade, entre les murs croulans de la vieille cité et la ligne de grosses tours rondes qui en défendent les approches, les indigènes empêchent absolument tout Européen de franchir les limites du Presidio ; et malheur à l’Espagnol qui s’égarerait au-delà de l’enceinte des tours ! Au moindre incident, les gens des tribus voisines accourent en armes, comme en 1893, où, grâce à leurs fusils espagnols, ils tinrent en échec l’armée du général Margallo et tuèrent son chef. Les îles Zaffarines abritent un bon mouillage et occupent une situation stratégique avantageuse ; mais les Espagnols n’en ont fait qu’un pénitencier. Quant à Santa-Cruz-de-la-Mar-Pequeña, sur la côte de l’Atlantique, que le traité de 1860 cédait à l’Espagne, l’on a fini par s’apercevoir que ce nom ne s’appliquait qu’à un banc de sable poissonneux ; une commission mixte se réunit et identifia le point désigné par le traité avec Ifni, qui ne répond