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alors, monsieur, qui donc me paiera mes chapeaux ? » La brigue des places sous des noms supposés est aussi d’usage, et les tribunaux ont parfois à en connaître ; ces quémandeurs ne pensent pas sans doute commettre une escroquerie. Parmi les postulans, honnêtes mais dénués de titres, mérite d’être cité ce chef d’une grande maison de tissus qui expédiait l’an dernier, à l’administration des Français, une missive conçue en ces termes : « Nous avons maintenant fini notre saison d’hiver et nous serions heureux de passer quelques soirées au spectacle. Veuillez donc nous envoyer des places à demi-tarif pour nous et notre nombreux personnel. »

On se plaint que les places, dans les théâtres parisiens, soient trop chères. Elles n’étaient pas à bon marché au temps où une chaise, sur la scène de l’hôtel de Bourgogne, coûtait 4 livres, — qui, en monnaie de nos jours, correspondent à 20 francs. — Cela n’empêchait pas la salle de se remplir pour les pièces en vogue : « Je vous souhaiterais ici, écrit l’acteur Mondory à Balzac, pour y goûter entre autres plaisirs celui des belles comédies qu’on y représente, et particulièrement d’un Cid qui a charmé tout Paris. On a vu seoir en corps aux bancs de nos loges ceux qu’on ne voit d’ordinaire que dans la Chambre dorée et sur le siège des fleurs-de-lys. La foule a été si grande et notre lieu s’est trouvé si petit que les recoins du théâtre, qui servaient autrefois comme de niches aux pages, ont été des places de faveur pour les cordons bleus, et la scène y a été d’ordinaire parée de croix de chevaliers de l’ordre. »

La scène ainsi « parée, » au XVIIe siècle, de deux rangées de chaises de paille qui se transformèrent plus tard en banquettes, et se multiplièrent jusqu’à paralyser toutes les évolutions des personnages, était, nous dit Tallemant, « d’une incommodité épouvantable. Cela gâte tout et il suffit d’un insolent pour tout troubler. Mais les loges, ajoute-t-il, sont fort chères et il y faut songer de bonne heure. » On ne s’avisa que fort tard, en 1759, de déblayer la scène des spectateurs qui l’encombraient, et plus tard encore, en 1794, de mettre des bancs au parterre, dont les habitués, jusqu’alors, se tenaient debout et s’assagirent en s’asseyant.