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habitans de cette grande plaine avaient trouvé avantageux de noyer et d’assécher alternativement les parties basses de leurs terres. Inondées, elles devenaient des étangs à poisson, dont l’exploitation était autrement avantageuse que l’ancienne jachère. Après deux ans, on les vidait et on les ensemençait à nouveau. Cette succession de périodes d’inondation et d’assèchement réalise les meilleures conditions pour le développement du paludisme. Et, en effet, le résultat de ces pratiques fut de créer là un foyer de fièvres palustres extrêmement, redoutable. Un renseignement emprunté à Rollet et cité par Laveran peut en donner une idée : de 1802 à 1842, la moyenne de la vie humaine, dans la plaine des Dombes, ne dépassait pas vingt-quatre ans. Cette situation a été considérablement améliorée : on a percé des puits, creusé des canaux, vidé les étangs insalubres, et plus de 100 000 hectares ont été définitivement rendus à la culture. On veut aujourd’hui revenir en partie à l’ancien état de choses et l’on prétend s’appuyer sur les progrès de la science pour établir que la tentative est sans danger. A la vérité, on peut imaginer des étangs et des marais qui seraient parfaitement salubres. Il suffirait de ne laisser subsister aucun fébricitant dans leur voisinage. Si l’on écartait tout paludique ou si on le guérissait immédiatement, aucun moustique ne serait infecté et ne pourrait à son tour transmettre, l’infection palustre. Il ne serait plus capable que du méfait banal qui, d’ailleurs, le rend insupportable. Sans doute, tous les marais ne sont pas insalubres, même dans les pays tropicaux. En Océanie, le paludisme est à peu près inconnu. Il en est de même en Nouvelle-Calédonie, malgré l’existence de nombreux marécages. Aux environs de Nouméa, située près d’un marais saumâtre, les forçats ont défriché un sol vierge sans contracter les fièvres. Peut-être les moustiques anophèles font-ils défaut dans ces diverses contrées. Il n’en est pas de même dans les Dombes ; on ne sait que trop que les conditions du paludisme y sont réalisées et que les anophèles n’y manquent point. La sécurité n’y serait donc assurée que dans le cas où aucun paludique d’importation étrangère ne viendrait jamais s’offrir à leurs morsures. On voit assez combien cette sécurité serait fragile.


A. DASTRE.