fausse apparence. Si vous affectez de me donner du pain et du feu, je m’aperçois que je les achète à chers deniers, et, en fin de compte, ils me laissent comme ils m’ont trouvé, ni meilleur, ni pire : mais toute force mentale et morale est un bien positif. Elle sort de vous, que vous le vouliez ou non, et me profite, à moi à qui vous n’avez jamais songé… Nous avons l’émulation de faire tout ce que l’homme peut faire… et j’accepte la parole du Chinois Mencius : un sage est l’instituteur de cent siècles ; à entendre parler des mœurs de Loo, les stupides deviennent intelligens, et les flottans, déterminés. »
Il ne faut donc pas s’y tromper ; le génie nous aide parce qu’il est une transpiration de l’âme. Toute transpiration de l’âme nous offre, à des degrés différens, pareil secours : l’amour devine une destinée et l’aide à se réaliser ; l’amitié découvre toute vertu cachée, et l’activité même du terrassier sur la voie ferrée peut nous faire rougir de notre paresse. C’est pourquoi, au-dessus du génie, il y a la sainteté. La plus haute sphère de vie, c’est le monde de la moralité et de la volonté. Sur les suprêmes questions qui reçoivent dans un drame ou un poème une réponse « approximative et oblique, » les héros de l’action travaillent directement. « Tous les hommes sont dominés par le saint… Une âme sainte et divine s’assimile à l’âme originelle, par laquelle et d’après laquelle toutes choses subsistent ; elle pénètre alors aisément en toutes choses et toutes choses pénètrent en elle : elles se mêlent, et l’homme est présent et sympathique à leur structure et à leur loi. » On peut dire qu’il y a communication du génie avec le principe des choses, mais, de la sainteté, communion.
Ainsi le grand homme vit à côté de nous, comme nous et pour nous. Car l’essence de tous les individus est identique et leurs énergies sont solidaires. « Nous sommes multipliés par nos prochains. Avec quelle facilité nous adoptons leurs travaux ! Tout navire qui vient d’Amérique doit sa carte marine à Colomb. Tout roman est débiteur d’Homère. Tout charpentier qui rabote avec une varlope emprunte le génie d’un inventeur oublié. La vie est ceinte d’un zodiaque de sciences, contributions d’hommes qui ont péri pour ajouter leur point lumineux à notre ciel. » Grâce à eux, notre savoir s’enrichit et notre action s’étend. Les grands hommes n’existent que pour qu’il y ait de plus grands hommes, afin que le bien se réalise et que s’accomplisse le règne de l’Esprit.