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c’est ce que prouve l’effort perpétuel de la nature pour y atteindre. » Il suit de là que « la beauté est la forme sous laquelle l’intelligence préfère étudier le monde » et l’idéalisme artistique se trouve appuyé sur un fondement solide, L’homme ne mérite notre attention que par ses supériorités. Doctrine profonde, qu’il faudrait opposer aux niaiseries d’un certain « naturalisme » dont le moindre vice est d’être aussi éloigné de la nature et, du même coup, aussi faux que possible.

L’Ame universelle, présente dans toutes choses, ne peut y travailler que pour le Bien comme pour le Beau. De là, la confiance d’Emerson dans le but assigné aux êtres et à la création entière. Même quand toute connaissance s’arrête, cette confiance doit persister et aller plus loin que notre science. « Il n’en sait pas plus que les autres, a-t-on dit de lui ; mais il affirme avec plus de courage, et il a confiance dans le mystère[1]. » Comme tous les optimistes, il s’attache à expliquer le mal sous toutes ses formes, le mal physique, le mal moral, l’imperfection et la mort. « La gelée qui détruit les récoltes d’une année sauve les récoltes d’un siècle… Tout a sa raison d’être… Et, de même que la plante se nourrit de fumier, l’homme est parfois redevable de quelque avantage à ses vices. » On peut donc trouver que tout est bien ; mais tout sera mieux encore. Il suffit que chacun de nous accomplisse justement la chose pour laquelle il est créé ; l’harmonie alors régnera dans le monde. « Une révolution correspondante dans les choses accompagnera le progrès de l’esprit… Les souillures et les miasmes de la nature seront séchés par le soleil, emportés par le vent. Et, lorsque l’été viendra du sud, les bancs de neige se fondront et la face de la terre verdira devant lui. De même l’esprit qui avance créera des ornemens le long de sa route, portant avec lui la beauté qu’il visite, les mélodies qui l’enchantent. Il attirera les beaux visages, les cœurs chauds, les sages discours, les actes héroïques, et s’en entourera jusqu’à ce que le mal disparaisse. La royauté de l’homme sur la nature, celle qui ne résulte pas de l’observation, une royauté qui dépasse son rêve de Dieu, lui sera, donnée sans qu’il s’étonne plus que l’aveugle qui se sent graduellement ramené à une vue parfaite. »

  1. Maurice Maeterlinck.