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écrasés par l’atmosphère sans l’air qui est dans notre corps. Un tube l’ait d’une pellicule de verre résistera au choc de l’océan, s’il est rempli de la même eau. S’il y a de l’omnipotence dans le coup, il y a de l’omnipotence dans la réaction. »

Et d’ailleurs, cet antagonisme entre le monde et nous n’est-il pas plutôt une vue superficielle des choses et ne le voyons-nous pas se résoudre en une harmonie fondamentale ? Qu’est-ce donc que cette Nature qui paraît s’opposer à notre pensée ? Et, puisque nous avons interrogé notre pensée, demandons maintenant son secret à la nature.


IV

Tout ce que la pensée nous révèle d’elle-même est vrai aussi de la nature. « L’esprit universel qui anime le monde s’incarne à nos yeux sous deux formes différentes : la nature et la pensée. » Il y a entre leurs lois une harmonie qui tient à l’identité de leur essence ; car « ce pouvoir profond dans lequel nous existons » n’est pas seulement en nous le principe de toute connaissance ; il est, hors de nous, le principe de toute existence. « Il est à la fois l’acte de voir et la chose vue, le spectateur et le spectacle, le sujet et l’objet. » En d’autres termes, la nature n’est qu’un symbole de l’esprit. Elle est « l’incarnation d’une pensée et redevient pensée, de même que la glace devient eau et vapeur. Le monde est de l’esprit précipité, et l’essence volatile s’en échappe incessamment à l’état de pensée libre. De là, l’influence des objets naturels sur l’esprit, l’énergie de leur prise, qu’ils soient inorganiques ou organisés. L’homme emprisonné, l’homme cristallisé, l’homme végétal s’adresse à l’homme personnifié… Chaque moment et chaque objet nous instruisent, car la sagesse est infuse dans chaque forme… Nous n’en devinons l’essence qu’après beaucoup de temps[1]. » Oui, nous sommes immergés dans une omniscience que beaucoup ne soupçonnent point. Nous ne savons pas voir. Pourtant, chacun de nous porte les secrets de la nature dans son cœur. Le poète en sait plus long que le naturaliste ; le génie qui devine laisse bien loin derrière lui l’empirisme qui calcule ; nulle recherche n’égalera jamais certaines « saillies inenseignées » de l’esprit, et le rêve capable de pressentir la

  1. Essays, 2nd séries, Nature.