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Partout ailleurs, ce fut une succession ininterrompue de massacres, d’exils et de spoliations. La classe inférieure avait pour elle le nombre et elle en abusait. On ne cherchait pas à résoudre le problème d’une façon équitable et rationnelle. Les philosophes avaient élaboré à ce sujet des systèmes très savans, dont on aurait pu s’inspirer ; on ne songea pas à leur faire le moindre emprunt. La foule agit avec brutalité, sous l’impulsion de la haine engendrée chez elle par la paresse et par la misère. Les pauvres n’avaient qu’un désir, se substituer aux riches et devenir propriétaires à leur tour. C’était déplacer le mal et non pas le guérir ; c’était satisfaire les besoins du moment, ce n’était pas préparer un avenir meilleur, d’autant plus que l’état de choses amené par chacune de ces révolutions n’était jamais stable et provoquait bientôt de cruelles représailles. Ces désordres achevèrent de détruire ce qui subsistait encore d’amour pour le travail. Pourquoi le pauvre aurait-il peiné en vue d’un maigre profit, alors qu’un coup de force était capable de l’enrichir soudain ? Ne valait-il pas mieux atteindre cet heureux événement, et, s’il tardait trop, le hâter ? On comptait alors sur une révolution, comme certaines gens comptent sur un billet de loterie, et on avait sur ces derniers l’avantage de pouvoir aider la chance. On ne saurait dire jusqu’à quel point ce calcul eut un effet démoralisateur. Pour comble de malheur, lorsqu’un parti était trop faible, soit pour attaquer, soit pour se défendre, il n’hésitait pas à invoquer l’appui de l’étranger. Il ne s’adressait pas seulement à ses voisins les plus proches ; il sollicitait même l’intervention de la Macédoine et de Rome, et, quand ces puissances eurent mis le pied en Grèce, elles ne voulurent plus en sortir. Les guerres sociales ruinèrent le patriotisme et le souci trop exclusif de l’intérêt privé prépara l’asservissement général.

L’origine première de tout cela, ce fut la mauvaise organisation du travail. Les contemporains ne sentirent peut-être pas ce qu’elle avait de défectueux, ou, s’ils s’en aperçurent, ils ne firent aucun effort sérieux pour la corriger. Lorsque Agis et Cléomène voulurent opérer une refonte de la société Spartiate, ils appliquèrent toute leur intelligence et toute leur énergie à la question de la propriété, et ils négligèrent la question du travail. Les Grecs étaient persuadés que la fonction capitale du citoyen était le service de l’Etat. De cette conception fondamentale, tout le reste découla fatalement. C’est parce que les nobles avaient, au