Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/654

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’origine hellénique. S’ils avaient le goût de la guerre, ils s’enrôlaient comme soldats mercenaires. Parfois même, ils s’établissaient dans des contrées lointaines où on leur assignait des terres. Ceux qui restaient en Grèce étaient les plus malheureux. Condamnés à l’oisiveté par la prédominance de la main-d’œuvre servile, qui accaparait presque tout, privés des secours officiels que le budget n’était plus en état de leur distribuer, peu portés d’ailleurs à l’ouvrage par suite d’un préjugé auquel ils ne pouvaient se soustraire, ils vivaient pour la plupart dans la gêne, souvent dans les dettes, et, comme la contrainte par corps existait partout, sauf à Athènes, l’insolvabilité était pour eux une perpétuelle menace de servitude.

Il était naturel que, dans leur détresse, ils jetassent un regard d’envie sur les biens des riches, et ils n’avaient pas les mêmes motifs que nous pour s’abstenir d’y toucher. Une des raisons qui contribuent chez nous à protéger la richesse, c’est la fonction sociale qu’elle remplit. Le riche jouit aujourd’hui de sa fortune ; mais il en fait jouir aussi le pauvre par le travail qu’il lui fournit. Tout gain du pauvre, sous quelque forme qu’il lui vienne, est prélevé sur le capital du riche. On peut alléguer, et c’est l’opinion des socialistes, que la part du travail est insuffisante et que le capital devrait donner beaucoup plus qu’il ne donne. Mais enfin, le travail recevrait encore moins, si le capital n’était point là pour le rémunérer. Le même phénomène se produisait dans les derniers temps de la Grèce ; mais, comme le travail avait de plus en plus un caractère servile, c’était l’esclave ou plutôt son maître, c’est-à-dire au fond un capitaliste, qui recueillait tout ce que le capital payait au travail. Le capital était donc à peu près inutile au citoyen pauvre, et par conséquent celui-ci n’avait aucun intérêt à le respecter. Rien ne retenait sa convoitise, et tout, au contraire, l’encourageait. Il fuyait le travail et le travail le fuyait ; il était enclin à vivre dans l’oisiveté, et, s’il voulait en sortir, cela ne lui était pas toujours possible ; il menait une existence de rentier et il n’avait point de rentes. Il ne lui restait qu’un expédient, c’était de s’approprier les biens d’autrui, et c’est en effet à quoi il visa. Ainsi s’explique l’âpreté des luttes sociales qui agitèrent cette période de l’histoire grecque. A Sparte, on essaya de procéder avec quelque régularité ; mais la réforme échoua devant l’hostilité des privilégiés, et, des deux princes qui la tentèrent, l’un fut tué, et l’autre banni.