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propriétaires et aux industriels tous les avantages de l’oisiveté, sans les priver pourtant de leurs revenus. Jadis ce privilège avait été particulier à la classe noble ; depuis, il s’était communiqué à la bourgeoisie tout entière, au fur et à mesure qu’elle s’enrichissait. D’après Platon, tout Athénien qui arrivait à la richesse perdait le goût de son métier et glissait vers la fainéantise. Dans cette ville, où les mœurs étaient simples et les goûts modestes, on ne tenait peut-être pas à amasser beaucoup d’argent, d’autant plus qu’on craignait toujours d’exciter les convoitises ; aussitôt qu’on avait atteint un certain chiffre de fortune, on ne pensait plus qu’à en jouir. Le malheur est que l’exemple fut contagieux. Les gens du peuple réclamèrent, eux aussi, le droit au repos, ne fût-ce que pour s’acquitter de leurs devoirs civiques. La démocratie avait de terribles exigences ; en appelant le citoyen à l’assemblée, au conseil, au jury, aux fonctions publiques, elle lui volait une bonne partie de son temps. Encore si elle s’était contentée de proclamer la participation de tous au gouvernement, sauf à l’attribuer en fait à la bourgeoisie ! Mais, dès la fin du Ve siècle, on voulut que la réalité fût conforme à la théorie ; et que chacun eût effectivement une part égale de souveraineté. De là ces jetons de présence qu’on donnait à quiconque passait sa journée dans les tribunaux, au Sénat, ou dans l’assemblée populaire. Ce n’est pas tout ; les pauvres recevaient fréquemment des allocations de blé, gratuites ou à vil prix ; on partageait entre eux la chair des nombreuses victimes que la cité immolait en l’honneur des dieux ; on organisait périodiquement à leur profit des repas dont les riches faisaient tous les frais. Quand il y avait représentation au théâtre, le Trésor payait leur place. S’ils tombaient malades, ils étaient soignés pour rien par les médecins officiels. S’ils devenaient invalides, ils touchaient un secours journalier. L’Etat s’ingéniait, en un mot, pour les mettre à l’abri du besoin, et, comme l’homme ne travaille guère pour son plaisir, comme il ne s’y résout que sous l’empire de la nécessite, tous les allégemens apportés à leurs charges étaient pour eux autant d’invitations à la nonchalance. Ce qui augmentait encore leur aversion pour le travail manuel, c’est que rien ne distinguait leur labeur du labeur de l’esclave. Si puissant que fût dans la démocratie athénienne l’esprit d’égalité, il n’allait pas jusqu’à confondre l’esclave et le citoyen. Entre eux se dressa toujours une barrière infranchissable. Le citoyen le plus humble