Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/633

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’on possédait. Chacun avait le droit d’envoyer ses troupeaux sur les pacages publics. Toutefois, dans l’Odyssée, on voit déjà se manifester un effort d’appropriation de ces terres auparavant indivises ; tel est le cas d’Ulysse, dont les porcs sont installés loin de la ville, dans des étables en pierres entourées d’une palissade en bois de chêne. L’élevage des bestiaux réclamait peu de bras, et on les demandait à la classe servile ; pour un millier de porcs, quatre hommes suffisaient largement. D’autres étaient affectés à la culture des vergers, des vignes et des champs de céréales.

En lisant l’Odyssée, on est tenté de croire que tous ces hommes jouissaient d’une indépendance complète. Le porcher Eumée agit à sa fantaisie ; il tue et mange autant d’animaux qu’il lui convient ; il construit des étables sans consulter personne ; il a même pu acheter un esclave à ses frais. Mais sa situation est tout à fait exceptionnelle. Il n’est libre de ses mouvemens que parce qu’Ulysse, son maître, n’est plus là pour le commander et que Télémaque n’est pas encore en état de remplacer son père. Les choses devaient se passer autrement chez Laërte. Ce dernier nous offre l’image du propriétaire qui réside à la campagne. Son existence est simple et frugale ; il prend ses repas avec ses esclaves ; il surveille leur travail, et il travaille lui-même comme il lui plaît. Une des scènes figurées sur le bouclier d’Achille nous montre le maître regardant en silence les moissonneurs qui fauchent les épis et lient les gerbes. C’est à cela sans doute que se réduisait le plus communément le rôle du chef, tandis qu’autour de lui, les membres de la famille et les esclaves exécutaient ses ordres.

À côté des esclaves, il y avait place, dans l’économie rurale, pour des ouvriers libres. Le monde hellénique était alors sillonné par une multitude d’aventuriers, que les circonstances avaient arrachés à leurs foyers et jetés à tous les vents. C’étaient des meurtriers qui fuyaient la colère des parens de leurs victimes, des individus bannis ou sortis volontairement de leur famille, des esclaves marrons, ou même des hommes à l’humeur capricieuse que gênaient les cadres sociaux. Quand ces déracinas et ces déclassés étaient à bout d’expédiens, ils se mettaient en quête d’ouvrage et s’efforçaient d’entrer au service d’autrui. L’engagement avait une durée variable, mais il était toujours temporaire. L’homme louait ses bras en échange du logement,