Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/630

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étoffes comme une ouvrière. Homère parle des réservoirs où les épouses et les filles des Troyens « lavaient leurs riches vêtemens. » Nausicaa, bien qu’elle fût de sang royal, avait dans ses attributions le blanchissage du linge de la famille. Les filles du roi d’Éleusis allaient puiser de l’eau à la fontaine. Hippodamia, la fille d’Anchise, excellait parmi les vierges de son âge pour sa beauté et pour son adresse. Hector et Télémaque ne croyaient pas faire injure à Andromaque et à Pénélope en les renvoyant à leur toile et à leurs quenouilles ; c’était là leur occupation favorite.

Ces mœurs laborieuses sont bien celles qui caractérisent partout le régime patriarcal. Chacun y envisage le travail comme une nécessité qu’il faut subir et dont nul ne se plaint. C’est avec une sorte d’entrain joyeux qu’on se plie à cette obligation, et il n’en coûte rien à un individu, quel qu’il soit, d’accomplir la tâche qui lui est dévolue. Si, parmi les membres de la famille, il en est un qui répugne au travail, il n’a qu’à s’éloigner. On est si peu porté alors à mépriser le travail que le poète y assujettit même les dieux. La nymphe Calypso « fait courir une navette d’or sur son métier. » Circé « chante d’une voix mélodieuse en tissant une grande toile, belle comme les ouvrages des déesses. » Héphaïstos est un forgeron très industrieux, que Thétis aperçoit « tout couvert de sueur et tournant autour de ses soufflets. » Le magnifique péplos dont se pare Athéna est l’œuvre de ses mains. Apollon avait édifié jadis les remparts de Troie, tandis que Poséidon menait paître dans les forêts de l’Ida le bétail du roi Laomédon. La seule différence qu’il y eût à cet égard entre les hommes et les dieux, c’est que ceux-ci savaient tous les métiers sans les avoir appris.

Malgré sa bonne volonté, la famille ne pouvait exécuter à elle seule toute sa besogne. Travail de la mouture et de la boulangerie, cuisine, tissage des étoffes, confection des vêtemens, culture des terres, élevage des troupeaux, entretien des bâtimens, fabrication des meubles et des instrumens aratoires, tous ces soins exigeaient un personnel nombreux. Dans la suite, le progrès de la division du travail, en multipliant les professions, eut pour effet d’alléger sensiblement la tâche familiale. On jugea alors plus commode de s’adresser aux ouvriers du dehors et d’acheter aux marchands les objets dont on avait besoin. À l’origine, l’usage était, au contraire, de recourir le plus rarement