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participent il la besogne collective dans la mesure de leurs forces et de leur capacité. Unis entre eux par un lien d’étroite solidarité, ils se doivent les uns aux autres, et les obligations de chacun sont les mêmes, parce que les droits sont pareils. Parmi eux, il n’y a point place pour l’homme oisif. L’inaction volontaire serait un vol fait à la communauté, et, si la tâche de tous n’est pas identique, tous du moins ont une tâche à remplir.

Homère ne décrit pas les institutions sociales de son temps avec la précision d’un savant ; il les signale d’un trait, souvent par voie d’allusion ; de là vient que ses indications sont parfois un peu vagues et un peu flottantes. J’ajoute que ses chants les plus récens paraissent coïncider avec le moment où la famille patriarcale était en train de se disloquer ; de là encore des incohérences et même des contradictions entre les diverses parties de ses poèmes. Néanmoins, il nous en dit assez pour répondre à notre curiosité, et on peut deviner d’après lui le régime de travail qu’il avait sous les yeux.

Le travail, dans cette société, était fort estimé. La question ne se posait même pas de savoir s’il était honorable ou non ; la chose allait de soi. Les plus hauts personnages faisaient œuvre de leurs mains et s’en vantaient. « S’il y avait entre nous, dit Ulysse à Eurymachos, une lutte d’ouvrage, au printemps, quand les jours sont longs, j’aurais ma famille, toi la tienne, et nous faucherions, sans manger, jusqu’à la nuit. Si nous avions à conduire des bœufs, noirs, grands, rassasiés d’herbe, de même âge, de même force, pour labourer un champ de quatre arpens, tu verrais comme je trace droit un sillon. » Le roi d’Ithaque n’était pas seulement un vaillant agriculteur, c’était aussi un habile artisan, capable de construire une maison, et de fabriquer soit un radeau, soit un lit orné d’or, d’argent et d’ivoire, et tendu de sangles de cuir rouge. Paris avait bâti sa propre demeure avec le concours de quelques ouvriers, et il avait l’habitude de fourbir lui-même ses armes. Lycaon, un autre fils de Priam, fut capturé par l’ennemi, tandis qu’il coupait des branches de figuier pour son char de guerre. Des princes royaux ne rougissaient pas de garder les troupeaux dans la montagne, et les enfans du riche Ægyptios « avaient toujours de la besogne dans les champs paternels. » Les femmes n’étaient pas moins actives que les hommes. La maîtresse de la maison ne se contentait pas de commander ses serviteurs ; elle filait la laine, listait la toile et brodait les