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En France, nous avons toujours eu peur que les mauvais ne gâtent les bons ; en Allemagne, ils pensent que les vrais bons sont, comme le diamant, incorruptibles, et qu’ils peuvent et qu’ils doivent améliorer les mauvais.

L’esprit de liberté individuelle se fait jour en Allemagne dans les moindres détails. Trois amis sont assis à la même table, au restaurant, par exemple. Ils mangent, ils boivent. (On mange et on boit toujours dans ce pays.) En France, les trois amis boiraient le même vin, mangeraient le même plat ; et il y aurait, s’ils étaient bien élevés, assaut de politesse pour trouver le vin qui sera le mieux au goût du prochain. Bien entendu, on ne réussira pas, et l’on finit par ne point s’harmoniser. Ici, c’est bien simple, chacun boit et mange comme il veut,… et tout le monde est content. Après avoir bu et mangé, les Allemands rient d’un gros rire de ventriloque, — quand ils ont trente ans… et plus ;… avant trente ans, ils chantent. Là est leur côté poétique. Ces lourdauds à tête carrée, aux cheveux blonds en désordre, à l’œil bleu, au pied pesant, ont un sens exquis de l’harmonie.

Quelle joie, cher ami, j’aurai de vous revoir ! et comme j’aurais couru, en arrivant, frapper à votre porte, si vous étiez à Paris ! Soyez assez aimable pour me dire l’époque de votre retour. Respirez l’air marin sur la falaise ; écoutez pour moi la belle musique des vagues et du vent qui souffle du large. Voulez-vous faire une visite de ma part à la jolie église de Saint-Enogat ? je ne puis oublier qu’elle est le berceau de notre amitié.

Adieu, faites tous mes complimens à votre femme, je vois avec bonheur vos chères filles grandir.

Rappelez-moi au souvenir de votre excellent beau-frère et de tous les vôtres.

Je vous embrasse cordialement.


Paris, 8 octobre 1882.

Mon cher ami, oui, je suis de retour. Comme j’eusse aimé à vous retrouver à Paris, au bout de mon grand voyage ! La vraie patrie, ce ne sont pas les pierres de nos maisons, ni même le sol de nos aïeux, c’est surtout les amis.

Nous nous verrons bientôt. Je ne quitterai la France pour mon nouveau voyage en Palestine qu’a latin de janvier, et vous, vous serez ici dans une ou deux semaines. Que de choses j’aurai à vous raconter ! Que d’observations j’ai recueillies, que de leçons