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semblaient me reconnaître dans mon costume de Bohême, et nous faisions ainsi, à l’insu de la foule, un petit dialogue. — Que viens-tu faire, ici ? — M’instruire. Qui vous a chassés, vous autres ? — La Réforme. — Reviendrez-vous jamais ? — En pèlerins comme toi. Va et instruis-toi, cette Allemagne protestante peut donner de belles leçons à la France catholique et libre penseuse.

Je vous cite là, cher ami, un bout de ces entretiens multiples et secrets, que j’avais chaque jour, en pensée avec mes aïeux disparus, sous les cloîtres de la vieille Université. Maintenant, plus de moines ; mais 3 000 étudians. C’est un peuple charmant à voir : il est, tout ensemble, vivant et tranquille, studieux et viveur, batailleur et rangé. Le duel est en honneur dans une moitié de cette foule bruyante. Il laisse des marques nombreuses sur les joues rubicondes de ces blonds Allemands. Ils se battent au sabre. La figure et le cou seuls sont à découvert. Conséquemment, le blessé est réduit à porter ou une large balafre qui partage en deux sa joue, ou une moitié de nez. Cette dernière blessure est rare ; je n’ai rencontré jusqu’à présent que des joues ornées d’une large et belle cicatrice.

Sur ces trois mille étudians, un bon mille travaille, les deux autres mille s’amusent. On les reconnaît à leur mine martiale et provocante, à leur fine moustache, à leur badine, à tout un ensemble qui prouve qu’en fait de science, ils ne sont que des amateurs.

Cependant, ceux-là mêmes se font remarquer par leur respect pour le maître. Vous ne sauriez croire, cher ami, à quel degré, ici, le respect pour l’autorité existe encore.

On ne le signale d’ordinaire que dans l’armée, où la discipline est de fer ; moi, je l’ai remarqué dans ce peuple libre d’étudians où la discipline n’existe pas et où, par conséquent, on peut mieux voir le mouvement spontané de la nature. Je me suis mêlé à eux, je me suis assis comme un simple étudiant sur leurs bancs, j’ai écouté en même temps qu’eux leurs maîtres ; j’ai été frappé de la considération avec laquelle ils les traitent et de la docilité avec laquelle ils les écoutent. Quand il entre, un trépignement de pieds, semblable à un roulement de tambour, lui fait une ovation. Quand il sort, nouveau roulement… Pendant qu’il parle, un silence absolu. Toutes les mains écrivent. J’ai entendu applaudir les chaudes professions de foi d’idéalisme