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Ici, ils adorent la musique. J’ai eu l’occasion d’entendre leur Conservatoire. J’ai été ravi.

Quant à l’Université, elle a une grande importance. Trois mille étudions la fréquentent. Etrange revers des choses humaines ! Le monument où est concentré tout l’enseignement : droit, médecine, philosophie, mathématique, théologie, est un ancien couvent ! Il ne reste plus grand’chose de tout l’ancien catholicisme du XIIIe siècle, si prospère en cette terre allemande. Leipzig est tout protestant. On ne compte que 3 000 catholiques sur une population de 150 000. Ce n’est presque rien. Ils n’ont même aucune influence. C’est un petit troupeau perdu dans un désert. Je me suis logé tout près de la petite église catholique, un joli monument gothique tout moderne. J’y vais le matin dire ma messe, incognito. J’ai réussi à m’attacher un jeune étudiant qui, chaque jour, vient me donner deux heures de leçon. C’est un jeune Thuringien qui n’a rien de la lourdeur de ses compatriotes. Il n’a que vingt et un ans. Il étudie la philologie, connaît un peu de français, et met un grand zèle à me former à sa rude langue. En dehors de mes leçons, je l’emmène à la promenade ; nous causons ainsi, lui, dans un mauvais français, moi, dans un atroce allemand ; et, à force de baragouiner l’un et l’autre, nous finirons bien par nous comprendre.

C’est mon but présent immédiat ; connaître assez l’allemand pour pouvoir lire couramment un ouvrage. La tâche est rude ; mais je l’accomplirai, coûte que coûte. J’y travaille sans trêve ; je ne parle plus le français, je ne l’écris même plus, si ce n’est pour ma correspondance. Je m’efforce même de penser en allemand : est-ce assez de zèle ?

Mais, quand on s’applique à une chose, je crois qu’il faut s’y jeter sans réserve. Dans trois semaines, au train que je m’impose, je lirai sans dictionnaire, et je parlerai sans faire rire.

Ma santé ne souffre pas trop du travail et du régime. Je bois la bière comme un Teuton, et ne songe pas au vin de France.

Donnez-moi de vos nouvelles bientôt. Votre femme et vos enfans vont-ils bien sous le ciel de Cannes ? Et vous, dans votre veuvage, vous sentez-vous seul ?

Moi, je regarde vers la patrie, en entendant les Allemands parler toujours avec passion de la leur : Vaterland ! comme ils disent. Il y en a une en effet chez eux.

C’est curieux de voir comme ils aiment et vénèrent leur