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En tous cas, le bénéfice que l’agriculture pourrait tirer de la voie d’eau est très inférieur au préjudice que celle-ci lui cause par l’introduction du grain étranger. Car les voies navigables favorisent au plus haut degré l’importation étrangère et contrecarrent ainsi la politique économique de l’Allemagne.

A tort ou à raison, ce pays a adopté le régime protectionniste ; pour être conséquent avec lui-même, il ne devrait pas restituer indirectement une partie des droits de douane qu’il perçoit. Or, c’est ce qui se produit en réalité, car les voies navigables, et en particulier les grands fleuves, grâce à leurs frets réduits, atténuent l’effet des droits de douane. En outre, les deux plus grands fleuves, le Rhin et l’Elbe, sont surtout fréquentés par des bateaux étrangers ; enfin, le Rhin favorise dans une large mesure les ports belges et hollandais au détriment des ports allemands.

Tandis que le chemin de fer est de beaucoup la voie la plus utilisée pour l’exportation, les restrictions qui lui sont imposées pour les tarifs d’importation laissent le champ libre à la batellerie, qui n’est gênée par aucune entrave de ce genre[1]. C’est surtout pour les produits de l’agriculture que la différence est frappante. Dans les années 1894-1896, les chemins de fer allemands n’ont transporté que 20 pour 100 des produits agricoles importés ; tout le reste est allé à la navigation ; même le grain russe a pris la voie du Rhin. En 1882, l’importation du froment s’élevait, en Allemagne, à 687 000 tonnes, dont 298 000 entrées par le Rhin ; en 1898, la quantité importée atteint 1 million et demi de tonnes, dont 1 million par le Rhin[2]. A Berlin, en 1883, les arrivages de grains se répartissaient en 206 204 tonnes par chemins de fer et 193 749 tonnes par eau. Douze ans après, la situation est inverse ; le chemin de fer ne fournit plus que 177684 tonnes, tandis que les voies navigables en apportent 365121. Or, le grain amené par eau est à peu près sans exception du grain étranger ; celui qui vient par les voies ferrées est produit presque entièrement sur le soi national[3].

  1. La Chambre de commerce de Ruhrort a mis ces faits en évidence dans son Rapport de 1900, à la suite de recherches statistiques sur le trafic échangé entre le Bas-Rhin et la Westphalie.
  2. Dehn, Politique nationale de transports.
  3. Dans la séance de la Chambre des Seigneurs de Prusse tenue le 16 février 1887, le ministre des Travaux publics, M. de Thielen, a déclaré lui-même que « le grain étranger utilise les voies navigables presque exclusivement et dans une mesure qui inspire de grandes préoccupations à l’agriculture allemande. »