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Peut-être, malgré tout, l’Assemblée eût-elle hésité encore à en venir à la guerre déclarée, si elle n’eût rencontré, dès lors, le concours d’un homme dont les ambitions secrètes et le haut mérite allaient prolonger et illustrer l’agonie du parti expirant, Henri de Rohan. Si la Cause eût pu être sauvée, c’est par cette main qu’elle l’eût été.

Rohan est un héros admirablement représentatif. Il possède, au plus haut degré, toutes les qualités et les vertus du protestantisme français : mœurs pures, intelligence claire, esprit appliqué, volonté réfléchie et obstinée, instruction étendue. Il avait de l’amertume, du pessimisme, et même une certaine bizarrerie, qu’il tenait de sa mère, Catherine de Parthenay, et qui n’est pas rare, parmi les membres de cette fière minorité. Il parlait peu, mais avec une chaleur concentrée ; il écrivait beaucoup et bien. Il se contrôlait sans cesse, se contenait, savait se faire obéir, savait plier au besoin, ayant, d’ailleurs, sous ses façons froides, un goût vif pour l’acclamation et la popularité. Au physique, c’était « un homme de taille moyenne, fort droit, bien proportionné, plus brun que blanc, les yeux vifs et perçans, le nez aquilin, extrêmement chauve, fort, agile, dispos et adroit à tous les exercices du corps. » Il était d’un tempérament froid et de complexité peu amoureuse ; il n’était pas heureux en ménage, sa femme, Marguerite de Béthune, fille du vieux Sully, étant d’un tempérament tout différent du sien.

Dans l’action, il était prompt, vif, lucide, toujours maître de lui, même aujourd’hui, il est difficile de lire les pages excellentes qu’il a laissées sans être séduit par l’éclat de cette belle intelligence, adouci par l’ombre du malheur et du désenchantement. Écrivain militaire excellent, la théorie, chez lui, dépassait peut-être encore la pratique. L’ensemble de ses qualités et la curieuse contexture de sa vie en font une des physionomies les plus frappantes de notre histoire. Il serait le César de la cause protestante, si on pouvait s’imaginer un César huguenot.

Son habileté à cacher ses ambitions sous le voile des doctrines et des principes était si grande, qu’on recherche encore aujourd’hui les motifs qui le décidèrent à faire bande à part parmi les autres chefs protestans et à précipiter son parti dans la lutte suprême où il devait périr. Sa formule, à lui, était « qu’il était décidé à défendre toujours les saintes résolutions de l’Assemblée ; » mais ce sont les ambitions les plus dangereuses que