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ne puisse être indifférent à personne d’encourir notre inimitié. »

L’avenir seul, et peut-être un avenir encore lointain, montrera ce que vaut l’optimisme officiel du chancelier de l’Empire. Nous ne croyons pas que la Triple Alliance soit sur le point de se dissoudre ; il est très probable qu’elle sera encore renouvelée ; mais elle ne conservera pas le même caractère et, s’il est permis de le dire, la même vertu. Et c’est bien parce qu’il s’en doute que M. de Bulow, philosophant sur la situation, parfois avec un sens profond des réalités, et parfois avec une sorte de dilettantisme spirituel, prend son parti de ce qu’il ne peut pas empêcher. Élève de Bismarck, il sait que les alliances, même les mieux rédigées sur le papier, n’ont pas une existence éternelle. Le grand chancelier l’a dit à maintes reprises, mais jamais peut-être avec plus de décision et de force que dans les Pensées et Souvenirs, Mémoires ou fragmens de Mémoires qui ont été publiés après sa mort. Il a fait lui-même, en remontant à ses origines, l’histoire de la Triple Alliance : s’il n’a pas tout dit, il a dit du moins les choses essentielles aussi bien, et avec plus d’autorité, que personne ne pourra le faire après lui. Il ne se fait aucune illusion sur ce que son œuvre conserve de contingent et de relatif. « L’observation des traités entre les grands États n’est, écrit-il, que conditionnelle, dès que « la lutte pour la vie » la met à l’épreuve. Il n’est pas de grande nation qui consente jamais à sacrifier son existence à la foi des traités, si elle est mise en demeure de choisir. Le proverbe : Ultra posse nemo obligatur ne peut jamais perdre ses droits par la clause d’un traité ; il est de même impossible de fixer par contrat la mesure de l’intervention et les forces exigibles pour l’exécution d’un traité, dès que l’exécuteur ne trouve plus son intérêt dans le texte qu’il a signé, ni dans l’interprétation première de ce texte. Aussi, s’il se produit des modifications dans la politique européenne et que ce nouvel état de choses fasse dépendre le salut de l’État d’une politique antiallemande, il ne faut pas s’attendre à voir l’Autriche-Hongrie se sacrifier pour garder sa foi aux traités. » Et un peu plus loin : « C’est précisément le caractère définitif de ces obligations réciproques qui est le principal obstacle à leur stabilité. L’exemple de l’Autriche entre 1850 et 1866 m’a averti que les lettres de change politiques que l’on est tenté de tirer sur des contrats de ce genre dépassent le crédit que des États indépendans peuvent s’accorder réciproquement dans leurs opérations politiques. Je crois, pour cette raison, que l’instabilité des intérêts politiques et les dangers qu’ils portent avec eux sont la doublure dont il est indispensable de munir les contrats écrits, s’ils