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dans tout le rôle de Siegfried, il ne manque pas un élément, pas un atome de joie.

Et quelle ombre nécessaire, mais lumineuse encore et comme souriante, le rôle de Mime oppose à tant de clarté ! Quel surcroît de vie jaillit du contraste et du conflit des deux personnages ! L’antithèse musicale est admirable entre les thèmes emportés et glorieux du héros, et les thèmes obscurs et retors du gnome trotte-menu, peureux et tatillon. Le motif de Mime forgeron, forgeron malhabile et impuissant, tourne comme le nain lui-même autour de Siegfried pour l’abuser et le retenir. En des pages exquises d’hypocrite tendresse, le père nourricier rappelle à l’adolescent, qui s’inquiète et qui doute, les soins prodigués à l’enfant. Avec une douceur si bien feinte qu’elle finit par nous émouvoir, le thème de l’enclume et du marteau, le thème ouvrier se change en thème berceur. Symbole tout à l’heure de pénible besogne, il le devient d’empressemens affectueux, de reproches câlins et d’amicale gronderie. En Siegfried, cependant, et autour de Siegfried, tout proteste et s’indigne contre la filiation vile à laquelle il se refuse à croire. Des lueurs traversent, éclairent tout ce qu’il chante, tout ce que l’orchestre chante avec lui, pour lui et de lui. Chaque insinuation de Mime provoque un démenti plus fort. Le dialogue s’élève et s’échauffe. Aux épisodes rêveurs, qui font comme des parenthèses ou des relâches dans l’action, d’autres succèdent, qui la précipitent. Déjà Mime a dû confesser une partie de la vérité. Siegfried sait à présent quelque chose de sa naissance, et qu’il eut un père, une mère dignes de lui. Sa mère est morte, et l’enfant lui donne quelques soupirs. Mais l’orgueil, la joie d’être un héros, le console promptement d’être un héros orphelin. « Sa jeunesse lui fait du bruit ; » sa nature, son essence lui devient de plus en plus présente et sensible, et, pour se comprendre et se posséder en quelque sorte tout entier, il fuit l’odieux compagnon dont la seule vue lui répugne et s’élance dans la forêt.

Ce merveilleux premier acte est divisé par la conférence de Wotan avec Mime en deux épisodes. Lun, nous venons de le voir, a pour sujet la conquête d’une héroïque activité ; l’autre, peut-être encore plus admirable, en représente l’exercice et la jouissance. La scène de la refonte du glaive est parmi les chefs-d’œuvre du premier rang. Toutes les forces de cette musique et de la musique en général concourent ici. La symphonie, d’abord, est prodigieuse de mouvement, de ferveur et de vie. À tout moment elle s’échappe et ruisselle en scherzos pareils à des torrens de joie. Et les splendeurs lyriques ne sont pas moins éblouissantes. Le chant de la forge m’en parait être le centre ou le