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a là des longueurs qui exaspèrent et des lourdeurs qui assomment. Aussi complexe que jamais, la polyphonie s’y exerce en quelque sorte à vide, sur des sujets sans intérêt et des discours sans fin. L’ennui alors, l’ennui wagnérien, sévit de toute sa puissance. Alors on en vient à craindre, à détester les thèmes impitoyables, fût-ce les plus beaux : ceux du Rheingold et ceux de la Walkyrie, celui surtout de Wotan voyageur, celui, — sublime pourtant, — du Walhall. On se prend même à douter encore si le leitmotiv en soi ne serait pas, au lieu d’une méthode admirable et féconde, un système, un procédé et une manie. On s’avoue enfin à soi-même, en secret, que, des quatre parties du Ring, Siegfried n’est peut-être pas la moins inégale, ni la moins difficile à supporter tout entière ; mais à soi-même, je le répète, et en secret, ces choses étant de celles dont le dernier des abonnés de l’Opéra ne conviendrait plus aujourd’hui.

Voilà le Wagner haïssable ; et voici l’autre, qu’on ne saurait trop aimer. De même que le premier acte de la Walkyrie, le premier acte de Siegfried consiste dans une évolution, dans un progrès continu et splendide. Mais, au lieu de s’accomplir en deux âmes, il ne s’opère qu’en une seule. C’est un lieu commun de répéter que la musique de Wagner exprime le devenir. Elle ne l’exprime nulle part avec plus de véhémence et d’emportement qu’ici. La première partie de Siegfried est la paraphrase magnifique ou plutôt la mise en action, — en quelle action dramatique et de plus en plus émouvante ! — de la parole inscrite au fronton du sanctuaire apollinien : « Connais-toi toi-même. » Le héros appelé ici à se connaître étant plus qu’un homme : un fils ou petit-fils des dieux, autant et à mesure qu’il se connaît, il s’aime, et sa connaissance et son amour, affluant de partout en son âme, l’emplissent et l’enivrent d’une surhumaine et vraiment divine joie.

Cette joie, au cours du premier acte, affecte les modes les plus variés. Elle se prépare d’abord, et pour ainsi parler, elle s’essaie. Par mille nuances de rythme, de mélodie et de sonorité, fondues les unes dans les autres, elle se transforme à l’infini ; tantôt elle s’avive et s’exalte ; tantôt elle s’atténue et se contient. Si long que soit l’entretien de Siegfried et de Mime (il occupe le premier acte presque tout entier), il ne languit pas une seconde, parce que la matière psychologique ne s’y épuise jamais. Allégresse ingénue, qui va, qui vient, danse et bondit ; gaîté moqueuse, ironique, insultante même et presque cruelle ; transports héroïques et farouches ; heureux pressentimens d’un adolescent qui soupçonne, avec un trouble délicieux, les mystères qui l’entourent et ceux qui se cachent en lui ; rires, cris, soupirs, frissons,