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parfois obligés d’emprunter un air qui ne sente pas l’école et de se montrer fort détachés de ce qu’ils enseignent. Ils pousseraient la liberté d’esprit jusqu’à la désinvolture ; et préoccupés avant tout de l’élégance, ils seraient prêts à sacrifier à ce souci un peu frivols, les raisons mêmes qu’a la critique d’exister. Car la critique n’a pas de raison d’être, ou son rôle consiste à mettre en regard de l’opinion irraisonnée de la foule un jugement réfléchi qui peut concorder avec elle ou en différer, mais qui en tout cas repose sur d’autres fondemens. Au théâtre ou dans les livres, le public, quel qu’il soit, ne cherche le plus souvent que son plaisir ; souhaitons qu’il l’y trouve, mais sans se faire à ce propos de trop flatteuses illusions. Notre rôle est de lui rappeler que le plaisir de la lecture ou celui du théâtre n’est qu’en de certains cas, et à des conditions, qui d’ailleurs n’ont en soi rien de cabalistique, un plaisir littéraire.

L’œuvre de Dumas tient une grande place dans l’histoire littéraire du XIXe siècle et n’en tient aucune dans la littérature, telle serait, à prendre les choses sérieusement et sans fantaisie, la conclusion d’une étude sur le dramaturge et sur le romancier. Qu’il ait eu les dons les plus remarquables, et, si l’on y tient, des facultés « prodigieuses, » nul ne le conteste ; plutôt que d’égarer l’opinion en cherchant à lui attribuer des mérites auxquels lui-même ne prétendait guère, il serait plus judicieux de chercher à définir ceux qui étaient réellement les siens, et plus utile de montrer comment son extraordinaire complexion d’esprit était en rapport avec sa complexion physique et sa formation intellectuelle. Dumas fils, dont on connait l’admirable piété filiale et qui fut un des plus ardens défenseurs de la gloire de son père, lui adressait, au cours d’une de ses Préfaces, cette apostrophe : « C’est sous le soleil de l’Amérique, avec du sang africain, dans le liane d’une vierge noire, que la nature a pétri celui dont tu devais naître et qui, soldat et général de la République, étouffait un cheval entre ses jambes, brisait un casque avec ses dents et défendait à lui tout seul le pont de Brixen contre une avant-garde de vingt hommes. » Il appelait ainsi notre attention sur un curieux phénomène d’atavisme. La psychologie des races sera toujours difficile à déterminer avec quelque précision, et l’étude en est aujourd’hui des plus décevantes. Pourtant, et à s’en tenir aux généralités, on aperçoit tout de suite quelques-uns des traits caractéristiques des races noires : naïveté, vanité, familiarité, exubérance, goût du clinquant, amour du bruit. Surtout ce qui nous intéresse ici, c’est que, pour ces races primitives où ne s’est pas encore fait ce long travail de complication et d’affinement critique, résultat chez