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désormais allaient l’aider à prendre une triomphante offensive. A l’occasion de ces événemens, Choiseul, qui n’avait pas écrit à Voltaire depuis plusieurs mois, se rappelle à lui en ces termes :


A Versailles, ce 11 avril (1762).

« Je ne vous écris pas, ma chère Marmotte, parce qu’il faut éviter ses amis quand on a de l’humeur ; j’en ai un peu de la Martinique. Quoique je me sois, attendu depuis plusieurs années à cette perte, le moment a été sensible ; j’aimerais mieux que dix mille Czars nous quittassent sur le continent que de perdre un pouce de terre en Amérique ; au lieu de cela, il n’y en a qu’un qui nous abandonne et quel Czar ! et nous perdons la Martinique. Votre ami le roi de Prusse doit être bien à son aise à présent ; je lui souhaitte de la santé et de la gayeté ; voilà les vrais biens, la gloire est une chimère, et la terreur est un plaisir horrible : j’aime mes Suisses à la folie, je voudrais n’être occupé que d’eux, et en particulier de votre jeune Galatin. Adieu, aimable Marmotte, vous êtes heureux ; vous ne travaillés que pour votre plaisir et celui des autres ; bien différent de moi qui ne m’occupe que de faire tout amis et ennemis. Je vous embrasse de tout mon cœur. »


Au ton de cette dernière lettre, on devine combien le ministre était découragé. Sa soumission aux folles entreprises de la favorite l’avait trahi et rien n’était plus morne que le relevé de la campagne de 1762 : campagne de marches et de contremarches, stériles pour les troupes françaises, finalement réduites à l’inaction. Par bonheur pour la France, ces derniers efforts avaient épuisé tous les partis en présence et, le 3 novembre, furent signés à Fontainebleau, entre les Cours de France, d’Espagne et d’Angleterre, des préliminaires de paix. Sitôt débarrassé de ce grand souci, Choiseul écrivit à Voltaire :


A Fontainebleau, ce 12 novembre (1762).

« Je n’ai pas eu le temps de vous répondre, ma chère Marmotte ; j’ai été occupé tout ce mois-ci a finir une petite tracasserie dont mon maître était occupé et qui effectivement commençait à devenir fastidieuse à tout le monde, hors à votre héros qui me paraît n’en être pas las. Je suis son serviteur, mais à