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Flandres, où elle détenait la partie la plus importante et la plus grasse de l’héritage de Bourgogne.

Elle était, alors, à l’apogée de sa puissance et elle poursuivait, dans ses fameux Conseils, le fastueux dessein de la monarchie universelle : ses intérêts étaient si nombreux dans le monde qu’elle n’aurait eu de repos que dans la conquête du monde. Le roi qui s’appelait « très catholique » n’avait-il pas, d’ailleurs, une sorte de mandat universel ? Partout, en Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique, il prenait position de défenseur attitré de l’Eglise romaine. De cette immense domination et de cette orgueilleuse prétention, il subsiste encore, aujourd’hui, le fait considérable que, sur la surface du globe, de vastes contrées restent attachées à la religion catholique.

Or, ces trois grands intérêts de la royauté espagnole, héritage de Bourgogne, monarchie universelle, défense de la catholicité, étaient engagés dans la crise germanique. Non sans un amer regret, la branche espagnole des héritiers de Charles-Quint avait dû, au moment où la succession de l’empereur Mathias était en suspens, renoncer aux États autrichiens, à la Bohême, à la Hongrie et surtout à la couronne impériale. Evincée par l’hostilité des peuples et par l’habileté de Ferdinand, elle avait prétendu faire ses conditions : elle avait réclamé le Tyrol et surtout cette province d’Alsace, voisine de son comté de Bourgogne et de ses États de Flandre. Obtenir ces provinces, c’eût été, en effet, assurer la continuité de sa domination européenne depuis l’Italie jusqu’aux Pays-Bas, et fermer le cercle autour de la France.

La négociation relative au Tyrol et à l’Alsace n’avait pas réussi. On avait objecté, alors, que les sentimens des peuples n’étaient pas favorables. Mais l’ambitieuse politique ne se décourageait pas. Habituée à compter avec les hésitations et les lenteurs de la Fortune, en raison même de l’immensité d’un Empire qui couvrait toute la planète, elle attendait patiemment une occasion nouvelle.

Le massif des Alpes opposait un obstacle naturel à ces projets. Les Républiques suisses avaient, depuis le temps de Charles le Téméraire, une réputation militaire qui les gardait, non moins sûrement que leurs montagnes. Mais, si cet obstacle ne pouvait être emporté de haute lutte, encore pouvait-il être tourné, et le gouvernement espagnol avait toujours les yeux fixés sur celle fameuse vallée de la Valteline qui forme, au pied de la Maloja,