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Tels sont les termes dont se sert Voltaire pour définir le caractère de la correspondance ; mais, en affectant de ne parler que des lettres ostensibles, il s’absout d’une petite perfidie qui, de sa part, n’étonnera personne. Si certaines de ces lettres étaient écrites pour être montrées de l’un à l’autre, quelques-unes restaient confidentielles, et cependant, selon les besoins de sa politique personnelle, il les faisait circuler sans scrupule. Remises aux mains de Frédéric, elles s’en allaient, par les soins de celui-ci, éveiller, auprès des Cours russe, anglaise et autrichienne, la défiance et la suspicion envers la Cour de France.

Choiseul, tout en s’en plaignant, ne paraît pas avoir pris trop d’humeur des indiscrétions de son illustre correspondant ; il avait trouvé une manière agréable de traiter d’ennuyeuses affaires et, pour un homme porté à aimer le plaisir plus que ses devoirs et à négliger le ministère pour les boudoirs, les ennuis des risques probables devaient être bien compensés par l’intérêt d’un agréable commerce, bailleurs, pour expliquer cette indifférence un peu hautaine, ne suffit-il pas de rappeler l’homme de cour qu’était Choiseul et l’affectation qu’il mettait à se donner l’apparence de traiter les intérêts publics sans réflexion, de décider les guerres sans enthousiasme et, par suprême bon ton, de se moquer de tout ? Si donc Choiseul gronda Voltaire de ces indiscrétions, du moins, comme nous le verrons par la suite, n’insista-t-il jamais beaucoup sur ces reproches.

Quant à Voltaire, il devait, en homme pratique, tirer parti de ses relations avec le tout-puissant duc, pour mener à bien les affaires les plus diverses et surtout ses affaires personnelles. Depuis son arrivée à Ferney, il avait pris au sérieux son rôle de poète fermier ; il s’intéressait à la bonne tenue de ses champs, à la santé de ses bestiaux, et parlait souvent, non sans quelque affectation, de ses bœufs et de ses labours. Mais ses nouvelles occupations n’allaient pas sans de nombreux procès dus à ses ambitions territoriales et à son ardeur pour soutenir la cause de ses paysans qu’opprimait leur curé. De plus, il entrait fréquemment en lutte avec le fisc, relativement au paiement des impôts ou à des refus de passage sur les différentes frontières pour ses denrées ou pour son blé. C’était pour lui l’occasion d’autant de suppliques et de sollicitations adressées au duc de Choiseul, et c’est à une demande de ce genre que répond celui-ci dans la lettre suivante :