Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les oasis enfin, notre présence gênait les coups de main ou les opérations commerciales des nomades. C’en était assez pour provoquer, parmi eux, une grande effervescence ; en outre, il ne manquait pas, au Touât, de mécontens qui demandaient secrètement le secours des Berâber et leur offraient de l’argent ; au Tafilelt, la puissante confrérie religieuse des Derkaoua travaillait contre nous. Enfin, le bruit courait que le sultan encourageait la guerre sainte pour chasser les roumis, et, sans doute, cette rumeur n’était pas sans quelque fondement, puisqu’un important personnage marocain, le caïd El-Glaoui, campait avec quelques troupes au Tafilelt. Tous les voyageurs savent d’ailleurs qu’au désert ou dans la brousse, les nouvelles se propagent et s’amplifient avec une stupéfiante rapidité ; les Berâber, à l’annonce de notre entrée au Gourara, se crurent directement menacés, et, jusqu’aux environs de Marrakech, l’on s’attendit à voir les troupes françaises déboucher par le sud et franchir l’Atlas.

Comme toujours, l’audace des nomades s’accrut de notre timidité. Le colonel Bertrand, dans sa marche sur Igli, n’avait-il pas reçu comme instruction de route de ne pas dépasser d’un centimètre le lit de l’oued Zousfana, comme s’il était possible d’occuper le fond d’un fossé sans être maître des deux revers. A Igli, notre colonne ne fut pas autorisée à se garder, par des postes avancés, soit vers l’ouest, sur les pistes de la hamada, soit au nord, sur l’oued Cuir. Ainsi, par ces excès de prudence, qui devenaient une suprême imprudence, nous semblions admettre qu’il existe entre le Maroc et l’Algérie une frontière et que cette frontière est marquée précisément par l’oued Zousfana. M. Waldeck-Rousseau, dans son discours à la Chambre, ne parlait-il pas, comme on parlerait de la rive gauche du Rhin, de « la rive gauche de l’oued Zousfana » que nous ne dépasserions pas !

Les effets de l’agitation des Doui-Menia et surtout des Berâber, les conséquences aussi de notre excessive prudence et des défiances que le ministère semblait avoir à l’endroit de nos chefs militaires, n’allaient pas tarder à se faire sentir ; en août, la compagnie montée du 2e régiment étranger, escortant un convoi de ravitaillement, fut attaquée à Moungar, sur l’oued Zousfana, par les Doui-Menia, et perdit huit hommes ; vers la même époque, un autre parti de Doui-Menia enlevait, entre l’Erg et El-Abiod-Sidi-Cheikh, un petit convoi. En même temps les Berâber entraient en scène ; le 30 août et le a septembre, les capitaines