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germe dans les cours des treize colonies, des treize États de la Confédération primitive, ni modèle dans les cours anglaises plus anciennes, ou si, au contraire, elle n’est que l’agrandissement de ces cours des treize États qui n’auraient été elles-mêmes qu’une transposition des cours anglaises : ce sont autant de petits problèmes, on pourrait dire de petits mystères, nullement indignes à coup sûr de piquer la curiosité des érudits, mais d’ordre historique et juridique plutôt que d’ordre politique ; nous n’avons pas à nous y arrêter.

Prenons la Cour Suprême toute faite, et faite connue on voudra qu’elle l’ait été, au commencement du XIXe siècle, en 1801, à la nomination comme Chief Justice de John Marshall, qui, par une heureuse fortune, devait demeurer en fonctions jusqu’en 1835 ; trente-quatre ans, long espace d’une vie d’homme, et long espace aussi d’une vie de nation, quand cette nation compte à peine cinquante ans d’existence. Alors une forte main, sur l’argile toute fraîche et non durcie encore, peut imprimer une forte marque. Ainsi John Marshall imprima sur la Constitution fédérale la marque de la Cour Suprême : il acheva de la pétrir et de la façonner : « Aux yeux des Américains, écrit M. James Bryce, il surpasse tous les autres juges de leur pays, plus que Papinien ne surpassa les jurisconsultes de Rome et lord Mansfield ceux d’Angleterre. Nul n’a fait la moitié de ce qu’il a fait pour le développement de la Constitution par l’interprétation, nul n’a plus contribué que lui à garantir à la justice la place qui lui revient de droit dans le gouvernement, celle de voix vivante de la Constitution. Personne ne revendiqua plus vaillamment la mission pour la Cour d’établir sur des bases solides l’autorité de la loi fondamentale du pays, personne ne s’abstint plus scrupuleusement d’empiéter sur le terrain du pouvoir exécutif ou de la controverse politique. L’admiration et la vénération que lui et ses collègues assurèrent à la Cour en restent comme le rempart ; les traditions qui naquirent avec lui et avec eux ont, en général, continué à guider l’action et à élever les sentimens de leurs successeurs[1]. »

Comme il fit de la Cour Suprême « la voix vivante de la Constitution, » John Marshall, pendant, trente-quatre ans, jusqu’à ce qu’il mourût octogénaire, en fut la jurisprudence vivante. Il

  1. James Bryce, La République américaine, trad. franc., t. Ier, p. 381.