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y a aussi un parlementarisme limité ; que l’on en connaît des exemples, et notamment un très illustre exemple, non suspect au point de vue démocratique et républicain ; que, dans le parlementarisme illimité, à l’anglaise, et surtout dans quelques-unes de ses exagérations et de ses déformations continentales, le Parlement, suivant l’adage, « peut tout ce qu’il veut, excepté changer une femme en homme et un homme en femme ; » mais que, dans le parlementarisme limité, à l’américaine, le Parlement lui-même ne peut que ce que lui permet la Constitution ; que certains droits restent antérieurs et supérieurs à son droit ; et que le dernier des citoyens est garanti de ses excès par une sorte d’Habeas corpus politique, qui lui demeure inviolable et sacré.

Je fonde sur cette raison et sur ce fait d’expérience ma thèse, qui est simple. Si nous soutirons de ce que, chez nous, le parlementarisme est illimité, tâchons de nous guérir en le limitant. Si le type anglais, sans les circonstances qui l’ont rendu tolérable et même fécond en Angleterre, ne nous convient pas, et si la preuve en est acquise, comme elle ne l’est que trop, rapprochons-nous du type américain. Si les Etats-Unis ont réussi par la création d’une Cour Suprême à limiter le parlementarisme, empruntons-leur cette institution bienfaisante, essayons d’en adapter une copie à notre tempérament, à nos mœurs et à nos besoins.

Ce qu’est la Cour Suprême des Etats-Unis, quel est son rôle et quelle est son œuvre, le public français, depuis le traité classique de Tocqueville et après les consciencieux travaux du duc de Noailles, ne saurait l’ignorer tout à fait ; ici même, plus d’une fois déjà, on a abordé ou effleuré ce sujet, mais peut-être sous son aspect abstrait ou théorique plutôt que du côté pratique ou concret[1]. Aujourd’hui qu’il ne s’agit plus seulement de théorie, mais de pratique, nous voudrions dire aussi brièvement et exactement que possible comment est composée la Cour Suprême des Etats-Unis, comment elle est nommée, comment elle fonctionne ; quelle est son origine, quelle est sa compétence, quelle est sa procédure. La traduction qui s’achève du monumental ouvrage de M. James Bryce, The American Commonwealth, vient à point pour nous y aider[2].

  1. C’est, par exemple, ce que nous avons fait dans notre article du 15 octobre 1899, Le pouvoir judiciaire dans la Démocratie.
  2. Le quatrième et dernier volume de cette traduction a paru tout récemment chez les éditeurs Giard et Brière, dans la Bibliothèque internationale de droit public, publiée sous la direction de MM. Boucard et Jèze. — On consultera aussi avec fruit, sur la Cour Suprême, dans la même Bibliothèque, le livre de M. Albert Dicey, Introduction à l’étude du Droit constitutionnel, et la préface que M. Ribot a écrite pour ce travail.