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Légende des Saints ; les trois autres, une scène, biblique (Job et ses amis), une cérémonie contemporaine (Obsèques d’Etienne Chevalier), une vision idéale (le Jugement dernier). Il suffit d’examiner, presque au hasard, dans les trois séries, une des miniatures et de la comparer, pour la disposition des figures, les types et l’expression des physionomies, le décor des fonds et les accessoires, avec les peintures contemporaines ou antérieures : on sera vite et facilement convaincu de l’esprit d’innovation, à la fois hardi et modeste, que Fouquet apportait dans la reprise des thèmes traditionnels autant que de la qualité, heureuse et durable, de son incomparable originalité.

Ce que l’on doit, tout d’abord, il est vrai, constater, c’est que son imagination est plutôt narrative que poétique, historique que romanesque, qu’elle s’élève difficilement, au-dessus des choses de la terre, en des visions surnaturelles. Les grands vols de l’exaltation mystique, philosophique, pittoresque lui semblent interdits. Son naturalisme, si délicat, si souple, qui anime et vivifie, avec un charme admirable, les personnages divins, lorsqu’il les représente en leur vie terrestre, éprouve grand’peine à s’exalter et s’alléger assez pour les transfigurer dans leur vie céleste. Son extraordinaire habileté à caractériser, grouper, mouvoir ses acteurs dans les scènes de l’histoire et de la légende devient une extraordinaire maladresse à les transporter et transformer dans un spectacle miraculeux. Les plus faibles de ses compositions sont précisément celles qui, en Italie, ont inspiré les compositions les plus hardies et les plus émouvantes, le Crucifiement, l’Ascension, l’Assomption, le Jugement dernier. Dès qu’il faut faire envoler ou planer des figures, dès qu’il faut même rassembler et asseoir, parmi des nuées triomphantes, les saints et les saintes, qu’il pose si bien et fait si bien agir sur le sol ou sur des dalles, il n’y est plus.

Pour s’en bien tirer, il faut qu’il recoure à ses souvenirs et à ses études d’architecte et de verrier. L’Intronisation de la Vierge, dans une percée lumineuse sur le ciel, en fond de lunette, formant auréole derrière le groupe de la Trinité, avec ses étages de bienheureux superposés alentour en cercles concentriques, est un projet de rosace destinée à l’éclairage d’une chapelle plutôt qu’une plate-peinture. Les meilleures parties en sont d’ailleurs les épisodes où les formes humaines se présentent, avec leurs allures naturelles, sous un éclairage ingénieusement distribué :