Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/273

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mouvemens : quel que soit le nombre des assistans et des comparses (la foule en est parfois grande), leur présence ne cause ni encombrement sur la scène, ni étonnement chez le spectateur. C’est leur goût de gravité et de sobriété dans le choix discret des accessoires, la suppression des détails inutiles, la simplification des draperies. C’est leur recherche de vraisemblance dans la perspective des figures et des lieux par l’exactitude des fuites linéaires et des dégradations atmosphériques. C’est, tour à tour, leur finesse et leur force dans la réalisation des types vivans et dans leur transposition historique ou légendaire ; c’est aussi leur grâce ou leur vigueur dans l’expression religieuse, sentimentale, passionnée ou dramatique, des physionomies. Il suffit de saisir ces qualités extérieures de réalisation technique pour comprendre en quoi, dès lors, Fouquet diffère de ses prédécesseurs ou contemporains, dans la région française et la région flamande, et comment il est, d’ores et déjà, chez nous, non plus le dernier peintre du Moyen Age, mais le premier peintre de la Renaissance. La simple comparaison d’une de ces feuilles de Chantilly avec une feuille, même la plus brillante, de la bibliothèque de Bourgogne, montrera l’évolution commencée et le progrès accompli.

Ce qu’il y a d’étonnant chez Fouquet, c’est qu’avec tant d’enseignemens reçus d’un cœur évidemment si docile et si enthousiaste parmi les Toscans, il ne trahit nulle part, vis-à-vis d’eux, aucun servage apparent. L’imitation de ses modèles se réduit à l’emploi de quelques détails matériels dans l’architecture, le mobilier, l’ornement. Certes, on sent dans son œuvre, presque à chaque pas, on peut indiquer, très sûrement, en certains endroits, le contre-coup prolongé de ses admirations ; ici, c’est Ghiberti ; là, c’est Luca della Robbia, ou Pisanello, ou Masaccio, ou Fra Angelico ; plus loin, Giotto même et les peintres d’Assise, qui se tiennent, derrière lui, à voix douce, qui le conseillent et l’encouragent. Il a respiré leur âme, il s’est rempli de leur souffle, il a appris d’eux à voir plus clair, penser plus ferme, parler plus juste : leur esprit le fortifie et l’anime ; mais c’est tout. Son admiration ne se change jamais en imitation ; s’il pense toujours à ces maîtres, il ne les copie jamais. Ce Tourangeau, si toscanisé, devient le plus français de tous nos peintres, et, dans ce grand désordre politique et social du XVe siècle, c’est lui qui, d’avance, développe, spontanément et clairement, les qualités