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le roi René, à la Bibliothèque Impériale de Vienne. Les artistes anonymes qui illustrèrent ces précieux manuscrits furent de vrais et heureux maîtres, et dans leurs compositions minuscules sont déjà abordées, et souvent résolues, toutes les difficultés de l’art de la peinture. Comment s’en étonner, puisque ces mains, si légères et délicates lorsqu’elles effleuraient le vélin, étaient les mêmes qui brossaient à larges traits des figures colossales sur les toiles à décors et les carions de tapisseries, celles qui posaient, lentement, consciencieusement, sur le bois des retables, des figurines d’une réalité palpable en un milieu exact d’architectures ou de paysages ? La bonne fortune de Fouquet, en son temps, fut d’aller respirer sur place le souffle tout frais encore, exquis et printanier, de la Renaissance italienne à son aurore ; sa bonne fortune, dans le nôtre, c’est que son nom, le premier, ait pu sortir de l’injuste oubli dans lequel sont encore perdus ceux de ses émules.

Le chef-d’œuvre de Fouquet, dépecé à la fin du XVIIe siècle par quelque noble vandale, le Livre d’heures d’Etienne Chevalier, dont quarante feuillets s’alignent glorieusement, dans la tribune de Chantilly, entre les travaux juvéniles et fraternels de Filippino Lippi et de Raphaël, fut exécuté, entre 1450 et 1460, au retour d’Italie. Ce ne saurait être un coup d’essai. L’artiste, d’un bout à l’autre, s’y montre si sûr de lui, en telle possession, aisée et constante, d’une technique savante et d’une conception personnelle, qu’on lui doit supposer une assez longue suite d’études et d’expériences antérieures. Où retrouver ces premiers efforts, ces tâtonnemens, toujours si touchans, de l’individualité qui se cherche ? M. Bouchot a cru les voir dans cent vingt petites images d’une Bible moralisme, commencée par André Beauneveu, continuée, après sa mort, comme il arrivait souvent, par divers enlumineurs de moindre talent, sans jamais être achevée. Nous ne saurions, cette fois, nous ranger à son opinion. Ces images, assez faibles, sentent plutôt l’imitation maladroite d’un style déjà fait que la recherche, hésitante et confuse, mais active, ardente, progressive, d’un style nouveau. C’est peut-être dans quelque bibliothèque d’Italie, à Florence ou à Rome, qu’il faut s’attendre à trouver le document désiré.

Pour le moment, les miniatures qu’on lui peut sûrement attribuer se réduisent à trois séries : 1° les fragmens du Livre d’Etienne Chevalier (1450-1460), dont quarante se trouvent à