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à la versification, c’est certain, et « un principe souvent invoqué nous avertit que le langage à l’origine fut sans doute un ensemble amorphe d’intonations, d’où jaillirent, en sens inverse, le vers et la phrase non rythmée. » Les Grecs primitifs conversaient et discouraient en prose. Mais ils chantaient en vers, et ne pouvaient raconter et célébrer qu’en chantant, parce que la mémoire était le seul livre, parce que le rythme fixe et conserve la phrase, parce que « toute notion s’accroche plus facilement à notre souvenir quand elle met en jeu plus d’associations mentales, et que l’ordre métrique, ajouté à l’ordre de la grammaire, multiplie les contacts et les adhérences. » — Et d’ailleurs, peu d’idées et beaucoup de passions, cela s’accommode beaucoup mieux du vers que de la prose. Ne voit-on pas que, même de nos jours, sitôt que la prose est passionnée, elle devient rythmique (Chateaubriand, Musset, Michelet) ? « Dialecticiens médiocres, mais accessibles au charme immédiat des sonorités, les primitifs goûtaient fort ce qui subsiste de musical dans le dactyle et l’ïambe. Habitués aux actions et aux pensées communes, ces gens tenaient aux mélodies verbales, régulatrices des actions collectives. » Donc toute littérature, en ces premiers temps, était rythmique.

Mais peu à peu les idées viennent et les notions plus distinctes et plus analytiques. « Plus d’idées, plus de science, des passions amorties ou moins illogiques ( ? )… On espéra qu’en des livres de structure très libre, l’on disposerait mieux les résultats de l’expérience et de la réflexion. » Et la prose naît, se constitue, se conserve avec l’écriture, déjà connue, mais qui « se répandit quand elle devint nécessaire. » Mais encore il reste beaucoup du ton, de la couleur ; de la physionomie et même du rythme de la poésie dans cette première prose écrite. Le travail lent de l’évolution consiste à éliminer, des genres qui comportent la prose, ces restes de la manière poétique et c’est, par exemple, le passage d’Hérodote à Thucydide, et même, — M. Ouvré l’a-t-il remarqué ? — des discours de Thucydide à ceux de Démosthène. La marche à la prose, c’est un des grands traits caractéristiques de l’histoire de la littérature grecque.

La différenciation proprement dite des genres au cours de l’évolution est un autre trait, dérivant de la même loi que le premier, essentiel aussi, et que M. Ouvré n’a pas suivi avec moins d’attention ni de sûreté. Il a pleinement accepté ici, et pour la période de la littérature grecque qu’il a étudiée, la doctrine