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esprits. Bouillon, en effet, parlait bien, dissertait abondamment, et prodiguait les conseils hardis, tout en se ménageant lui-même.

Pour un tel homme, c’était une chance rare que l’ascendant qu’il exerçait sur le jeune comte palatin. Il mettait ainsi la main dans les affaires de l’Empire. Au point où en étaient les choses, peu de temps avant la mort de l’empereur Mathias, Bouillon voyait quelque chance de réaliser le projet hardi qu’il avait conçu de mettre la couronne impériale sur la tête d’un prince protestant. Ce n’est pas qu’il se fit illusion sur son neveu le comte palatin Frédéric. Celui-ci, joli blond, à la moustache fine, était, pour le moins, un téméraire : « Bon prince, disait de lui Bouillon, et tout au plus propre à gouverner un petit État comme le sien. » Mais il n’avait pas d’autre instrument et son imagination aventureuse laissait, dans ses calculs, une part à l’imprévu.

Ainsi le prince palatin, flatté et excité par ses deux oncles, le comte Maurice de Nassau et le duc de Bouillon, « politiques aussi pénétrans et aussi raffinés qu’il y en eût alors en Europe, » animé par sa femme, l’ambitieuse fille de Jacques Ier, se croyait appelé aux plus hautes destinées. Une situation exceptionnelle qu’il occupait parmi les protestans d’Allemagne lui imposait, d’ailleurs, des responsabilités particulières. En 1608, quelques-uns des princes réformés, effrayés des progrès de la contre-révolution catholique, s’étaient assemblés et avaient jeté les bases d’une « Union » qui, dans leur pensée, devait grouper toutes les forces du protestantisme en Allemagne. Elle n’entraîna pas, il est vrai, les élémens luthériens, et elle resta plutôt calviniste ; mais elle avait su se concilier des appuis à l’étranger. Henri IV et Jacques Ier l’introduisirent, comme un élément précieux, dans le calcul de leurs combinaisons politiques. Aussi obtenait-elle une certaine influence internationale. D’ailleurs, elle avait su constituer une armée ; les élémens qui la composaient étaient actifs et entreprenans ; elle s’était déclarée hostile à la monarchie des Habsbourg. En somme, c’était une force. Or, cette Union avait pris pour directeur le comte palatin du Rhin.

Frédéric V, élevé dans les idées de ses oncles de Hollande et de France, avait donc les meilleures raisons de se considérer comme appelé à jouer un rôle décisif dans le grand conflit politique et religieux qui menaçait l’Allemagne. En 1617, persuadé, comme le lui avait rapporté son ambassadeur, le comte de Dohna, que