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que le Rhône coule du sud au nord, ou que Louis XV était le fils de Louis XIV. Mais, à tous les degrés de l’instruction, — supérieur, secondaire, et même primaire, — c’est d’« idées » qu’il s’agit, c’est de ce qui ne se démontre pas ; et ce que nous revendiquons, comme aussi bien ce qu’on nous dispute, c’est le droit d’enseigner « les idées » que nous croyons justes. Entre les systèmes qui se partagent les esprits des hommes, et par conséquent la direction de l’humanité, nous réclamons le droit de faire notre choix ; d’en donner les raisons ; et par l’enseignement, comme par la parole ou par la plume, le droit d’essayer de les faire prévaloir. C’est ce droit que, depuis trop d’années, on viole outrageusement tous les jours, et s’il n’y en a pas qui soit plus essentiel à la liberté de penser, c’est donc ce droit qu’il nous faut obstinément défendre. D’autres droits ne sont pas moins précieux, d’autres libertés ne sont pas moins nécessaires, mais elles n’intéressent pas aussi directement tout le monde. On pourrait dire que la liberté de la presse ne regarde que les journalistes, et la liberté de la parole que les orateurs ouïes conférenciers. On se tromperait ! Mais on pourrait le dire ! On l’a dit ! et j’ai connu des gens qui le pensaient ; et c’était toute une affaire que de leur faire entendre qu’ils avaient tort de le penser. Mais il n’y a pas un père, il n’y a pas une mère, il n’y a pas un fils qui ne soit personnellement et directement intéressé dans la question de la liberté d’enseignement. Il n’y en a pas un qui ne se sente lésé dans son droit, gêné dans sa liberté, diminué dans sa personne, s’il ne peut choisir son école, ses maîtres et ses guides. Il n’y en a pas un qui ne comprenne quelle tyrannie s’étendrait sur la pensée, si jamais l’enseignement redevenait le monopole de l’État, et, par conséquent, d’un parti, ou, moins que cela, d’une majorité. Ce sont aujourd’hui les Congrégations qu’on expulse ; ce seront demain ceux qui s’inspireront de l’esprit des Congrégations, c’est-à-dire de l’esprit chrétien ; et ce serait après-demain quiconque, ne pensant pas comme la majorité, contrarierait ses préjugés, combattrait ses doctrines, et ainsi lui enlèverait les suffrages qui l’ont faite majorité. M. Henri Brisson ne s’en cache pas, ni M. Ferdinand Buisson, ni tant d’autres, et en vérité, dans le temps où nous vivons, je ne sais s’il ne faut pas leur savoir gré de leur franchise.

Voulons-nous, ou ne voulons-nous pas de cette tyrannie ? Si nous n’en voulons pas, notre devoir est bien simple. Sauverons-nous les « Congrégations enseignantes ? » En tout cas, il nous faut les défendre. Ne fussent-elles pas tout ce qu’elles sont par ailleurs, et que nous essaierons de dire quand le moment sera venu de parler des Congrégations