Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/959

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais pu procurer la première. Et puis, et enfin, qu’est-ce donc que l’on nomme du nom de « liberté de penser, » si ce n’est le droit ou la faculté de penser autrement que ceux qui ne pensent pas comme nous ? Je demande pardon pour la naïveté de la formule, mais je n’en trouve pas qui rende mieux ce que je veux dire ; et, en effet, ce qu’on nous dispute au travers de tous ces sophismes, c’est bien cela, uniquement cela : le droit de penser « autrement ; » — et, bien entendu, de le dire. Pourquoi faut-il, hélas ! qu’il n’y ait rien de plus français ? M. Alfred Fouillée, notre confrère et collaborateur, a écrit tout un livre, et un fort bon livre, sur la Psychologie du peuple français. Lui dirai-je que j’ai craint quelquefois que cette psychologie ne pût se résumer d’un mot ? On serait bien près de la vérité, et on aurait noté l’origine de quelques-unes de nos meilleures qualités, mais aussi de nos pires défauts, si l’on disait que les Français sont une espèce d’hommes qui n’admet pas que l’on diffère d’elle.

Et c’est bien ce que je vois de plus inquiétant, comme aussi de plus dangereux, dans tous ces Projets de lois, et, plus généralement, dans tout ce qui se passe. Il ne faut pas nous y tromper. Ce qu’une majorité de sectaires, — qui n’est que la majorité parlementaire ou légale, et non pas celle du pays ou de l’opinion, — travaille à s’assurer depuis quelques années, ce n’est pas seulement la possession du pouvoir, avec les avantages ou les bénéfices qu’il comporte, mais c’est encore, et c’est surtout le triomphe de ses idées. Elle a des appétits ; mais elle a aussi un Credo, que, dans un pays catholique et chrétien, on peut appeler un anti-credo. C’est celui du XVIIIe siècle et de l’Encyclopédie. Soumettre la France à cet anti-credo, et, naturellement, pour l’y soumettre, désorganiser systématiquement, détruire, et balayer tout ce qu’on craint qui ne fasse obstacle à sa propagation ; — sacrifier à cet objet tous les autres intérêts du pays, y compris les politiques et les économiques, dont il sera temps de se soucier quand « l’unité morale » sera faite, n’importe à quel prix ; — traiter ses adversaires en ennemis publics, dont l’opposition ne saurait procéder que de leur inintelligence ou de leur mauvaise foi ; — user contre eux, en conséquence, de tous les moyens que permettront les circonstances, et, n’ayant à la bouche que les mots de « justice » et de « vérité, » les faire servir à l’établissement du mensonge et de l’iniquité, tel est le programme ou le plan, légué à nos fanatiques par la tradition révolutionnaire, et dont il se peut bien que tous ceux qui travaillent à le réaliser n’aient pas toujours une conscience très claire, mais pourtant dont la simplicité n’a d’égale que la régularité méthodique avec