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les Congrégations « dont la prédication est le but avoué, » le gouvernement s’érige en juge des besoins de la religion. Il déclare que 3 000 curés et 31 000 desservans, — ce sont ses chiffres, — devront désormais nous suffire. Là se borneront nos exigences. Plus de « Dominicains » ni de « Rédemptoristes, » de « Salésiens » ni de « Capucins : » M. Combes n’en a que faire ! Et pourquoi, encore une fois, l’a-t-on fait ministre des Cultes, si ce n’est pour qu’il nous imposât, avec ses « exclusions, » ses opinions, ses rancunes, et ses haines ?

Je sais bien qu’il invoque les nécessités de la défense républicaine ! et, effectivement, quels dangers ne font pas courir à la République les « Carmes de Laghet » ou encore « les Chanoines de Latran ! » A Mattaincourt, dans un canton reculé des Vosges, les « Chanoines de Latran, » et sur les hauteurs de la Turbie, à quelque cinq cents mètres au-dessus du niveau de la mer, dans une anfractuosité de la montagne, les « Carmes de Laghet » entretiennent « des centres d’action politique et des foyers de réaction ! » La bonne plaisanterie, s’il ne s’en ensuivait, quand on la traduira prochainement en actes, des proscriptions sans jugement et des exils sans cause ! Mais la meilleure de toutes, je veux dire la plus impertinente ou la plus cynique, est la plaisanterie gouvernementale bien connue qui consiste à s’autoriser « des traditions que les régimes passés ont toujours pris à tâche et à honneur de défendre ! » comme si nous étions « les régimes passés ! » comme si la République ne s’était pas établie sur leurs ruines ! comme s’il était dans leurs traditions qu’un médecin de Pons y devînt président du Conseil ! comme si l’on avait le droit d’invoquer aujourd’hui celles de ces traditions dont le renversement nous a coûté tant de sang ! comme si « la défense républicaine » ne consistait enfin que dans le rétablissement de tout ce qu’on nous avait promis que la République abolirait sans retour ! « Les anciens sont les anciens, et nous sommes les gens de maintenant. » Peu nous importe ce que les « régimes passés » ont « pris à tâche et tenu à honneur de défendre ! » Nous avons voulu la liberté ! C’est à nous de savoir en supporter les inconvéniens, ou, si nous les combattons, de ne le faire qu’au nom, et par le moyen de la liberté même. Nous la devons même à ceux qui nous la refuseraient, s’ils en étaient les maîtres. Je n’ai pas peur de la franc-maçonnerie, s’il m’est permis de lutter contre elle à armes égales, et le fanatisme ne m’effraie pas, — à la seule condition que l’on ne commence pas par mettre de son côté toutes les forces de l’État.