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sous quelque forme nouvelle, car la curiosité de l’enfant n’était pas moins inventive que la méfiante discrétion de son gouverneur !

Telle fut, d’après des documens d’une authenticité absolument incontestable, l’éducation du duc de Reichstadt. Elle se trouva justifiée, en fin de compte, par le succès de ses résultats. Si même la mort n’était pas venue, le plus à propos du monde, rassurer Metternich sur le danger que constituait pour l’Europe l’existence d’un second Napoléon, celui-ci, grâce à l’infatigable zèle de Dietrichstein, n’aurait jamais été qu’un Napoléon assez inoffensif. Le fils du loup eût-il vécu cinquante ans, ses efforts pour aboyer n’auraient jamais produit que des bêlemens. Faute de pouvoir lui ôter son âme, on l’avait, en tout cas, mis lui-même pour toujours hors d’état d’en user. Mais l’opération avait été si vive et si prolongée qu’il n’avait pas fallu moins que son heureuse issue pour compenser maints accidens fâcheux qu’elle avait amenés. C’est ainsi que, entre autres effets, elle avait complètement transformé le caractère du petit prince. Ce caractère était, par nature, si bon, si tendre, si ouvert, si gai, que tous les maîtres de l’enfant, sauf peut-être Obenaus, sont unanimes à en faire l’éloge. Dietrichstein raconte qu’il a vu le prince pleurer, parce qu’il avait trouvé un ver de terre à demi mangé par une alouette. Les jouets qu’il aimait le mieux, on avait peine à l’empêcher de s’en priver pour les donner à des enfans pauvres. Il donnait tout son argent, il se désolait à la pensée que d’autres enfans mangeaient du pain noir pendant qu’il avait à manger des gâteaux. De tout son cœur, il aspirait à aimer. Jamais Dietrichstein ni Foresti ne le surprirent à leur garder rancune des paroles sévères qu’ils lui adressaient. « Bien que le comte Dietrichstein l’ait traité très durement, nous dit M. Wertheimer, bien qu’il l’ail souvent blâmé et puni avec une rigueur excessive jusqu’à l’injustice, le duc de Reichstadt n’a point cessé, jusqu’au bout, de témoigner à son gouverneur la reconnaissance la plus affectueuse. » « Rien n’effacera de mon cœur la gratitude que j’ai pour vous ! » écrivait-il lui-même à Dietrichstein, le 23 septembre 1831, quelques mois avant sa mort. Et l’on éprouve une véritable angoisse, quand on assiste, dans le livre de M. Wertheimer, à la lente et incessante perversion de cette délicieuse nature d’enfant. Peu à peu, la gaité s’en va, les chants se taisent, le rire devient plus rare. Peu à peu, le petit prince, lorsque ses maîtres lui parlent, détourne la tête et baisse les yeux. Il apprend à se méfier, à craindre, à haïr. Au lieu de l’enfant expansif et doux qu’avait trouvé Foresti, quand il avait été appelé auprès de lui, Obenaus, en 1824, trouve un élève « sournois, entêté, méchant. » Et Dietrichstein, vers