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« politique » de son éducation. Et pour ce qui est de Foresti, tout ce que nous apprenons de lui dans le livre de M. Wertheimer nous inspire l’admiration la plus respectueuse pour la façon dont il s’est constamment efforcé de concilier, avec la cruelle consigne qui lui était imposée, la délicatesse généreuse de ses sentimens personnels.

Un exemple, choisi au hasard, suffira pour expliquer le caractère particulier de ses relations avec son élève. Un matin de juillet 1816, l’enfant, au cours d’une de ses promenades avec Foresti, voulut absolument savoir qui régnait alors sur la France. — « Un roi’, répondit Foresti. — Mais je sais, dit l’enfant, qu’avant ce roi, il y a eu en France un empereur : qui était-ce ? — C’était votre père ! répondit Foresti. Mais un amour immodéré de la guerre a fini par lui faire perdre sa couronne. » Le petit prince avoua alors en grand secret que, dans un livre dont on lui interdisait à présent la lecture, les Fastes de la France, il avait lu le récit de toutes les batailles de Napoléon. Puis il dit : « Mais, si mon cher père a causé autant de maux qu’on m’affirme qu’il en a causé, il est donc un criminel ? — Ce n’est pas à nous qu’il sied de le juger ! répondit Foresti. Continuez toujours à aimer votre père et à prier pour lui ! » Réponse dont on comprendra mieux la portée quand on saura que ce n’est qu’après de nombreuses hésitations, et avec la conscience d’accomplir un acte d’une générosité presque héroïque, que Dietrichstein avait autorisé l’enfant à mentionner le nom de son père dans ses prières du matin et du soir. Aussi le pauvre petit, au sortir de son entretien avec Foresti, eut-il visiblement « le cœur plus léger. » Durant tout le reste de la promenade, il sauta et rit comme il n’avait jamais fait ; et, de retour au château, il dit à Collin, en se jetant dans ses bras : « Oh ! si vous saviez ! M. Foresti et moi, nous avons longuement parlé de la France ! » Il ne cessa point, d’ailleurs, d’éprouver pour Foresti une reconnaissance tendre et passionnée. Et Foresti, de son côté, ne cessa point de l’aimer et de le plaindre avec tout son cœur. « Je ne puis vous exprimer le désespoir que j’ai de sa mort ! » écrivait-il à Dietrichstein, le 22 juillet 1832. Le même jour, Obenaus, devenu maintenant le baron Obenaus, écrivait dans son Journal ces quelques lignes, en guise d’oraison funèbre de son élève : « Aujourd’hui, à quatre heures et demie du matin, le prince est mort, à Schœnbrunn, de la phtisie, suite du… mainte fois prophétisé par Obenaus. » Que voulait-il dire, par ce mot laissé en blanc ? On l’ignorera sans doute toujours. Mais voilà toutes les réflexions qu’a provoquées en lui la mort du jeune prince dont il a eu la garde !