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accueiltant successivement dans son cabinet de travail deux recrues, désireuses d’accomplir leur évolution patriotique vers le protestantisme. Le premier solliciteur est un jeune sot qui n’agit que par concession à la mode du jour, par désir peut-être d’alléger ses obligations rituelles, et le pasteur se montre vis-à-vis de lui fort sévère : « Retournez chez vous, mon garçon, dit-il, et devenez d’abord un bon catholique. Nous avons bien assez de protestans indifférens parmi nous et nous accueillerions plus volontiers des gens qui auraient rempli consciencieusement leurs devoirs envers une autre Église… Vous pouvez emporter ce petit livre (il lui tend un Évangile)[1]. » Le ministre se montre, il est vrai, plus accueillant pour un vieillard qui assure avoir longuement réfléchi sur sa décision ; mais ce serait un trait peu conforme à la vraisemblance que de le faire agir d’une autre manière, et, cette fois encore, il termine du moins par une prédication de tolérance et de paix. « Quand vous passerez près du cimetière catholique où reposent vos ancêtres en compagnie de tant de braves gens, levez les yeux vers la Croix qui les abrite de son ombre, et songez que le Crucifié étend ses bras de l’un comme de l’autre côté. »

On suit de près dans les sphères intellectuelles du protestantisme l’évolution religieuse de Rosegger. Il vient de publier un dernier recueil d’études religieuses, — Mein Himmelreich, Mon Royaume céleste, — qui a été le signal d’une polémique de presse assez animée. Il faut l’avouer, ce livre ne marque pas un progrès dans la voie que ses amis catholiques se flattent de lui voir reprendre un jour. C’est qu’un nouvel acte d’hostilité ouverte s’est produit contre lui de la part de l’autorité civile, gardienne de la religion officielle. La censure a fait saisir à Gratz, en mai 1899, un article consacré par lui dans son journal le Heimgarten à la personnalité de Jésus, telle qu’elle lui est apparue par l’étude directe et approfondie des quatre Évangiles, qu’il avait repris en main au cours d’une longue maladie. Rigueur nécessaire peut-être et dont nous n’avons pas à apprécier le bien fondé sur le terrain où elle s’est produite, mais sévérité peu faite pour aplanir à un hésitant le chemin du bercail. On retrouve d’ailleurs dans ce « Royaume céleste » toutes les tendances que nous avons mises en évidence d’après l’ensemble de son œuvre. Effort pour comprendre de façon symbolique, pour

  1. Deutsch-evangelische Blaetter, mars 1901