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heureux[1]. Or, la vérité, c’est ce qui nous fait heureux. Et j’honore à ce titre le culte catholique, car il réunit en lui tous les moyens de louer dignement le Seigneur. Combien pauvre en sensations élevées, en sentimens délicats serait le peuple des campagnes et des forêts, si l’Eglise ne lui apportait art plastique et art dramatique, chant et mélodies tout à la fois ! Je l’avoue même : j’aime le mysticisme, et j’ignore pourquoi certains s’effrayent devant ce mot. Ne sommes-nous pas environnés de mystère ? Le monde entier demeure pour nous un gigantesque secret, ainsi que le passé, l’avenir, les causes de nos tendances et de nos actes, non moins que leurs effets lointains. Si nous transformons alors le mystère en symbole, si nous le rapprochons de nos cœurs par des images sensibles, si nous l’éclairons et l’humanisons tout à la fois dans notre imagination, n’est-ce pas là le mieux que nous puissions faire ? Et nous n’adorons pas dans l’Eucharistie le pain et le vin, mais le divin mystère dans le sein duquel nos destinées reposent.

LE DOCTEUR. — Je vous envie véritablement. Pourquoi donc avez-vous, à l’exclusion de tant d’autres, le privilège de sentir et d’éprouver de la sorte ? Ce n’est pas seulement le bonheur en perspective dans l’autre monde : c’est déjà la félicité ici-bas.

PIERRE. — Oh ! mon ami. Que je voudrais à présent me jeter dans vos bras et vous confesser combien souvent et avec quelles angoisses il me faut prier afin de conserver cette foi. On ne peut ni l’acquérir, ni l’apprendre : il faut la recevoir de la grâce céleste. Maintes fois, tandis qu’on voudrait en faire parade avec vanité, soudain, la voilà disparue : le cœur est désert ; ou bien, au lieu des chères figures sacrées, ce sont les démons du doute et du désespoir qui l’habitent.

LE DOCTEUR. — Expliquez-moi donc alors vos satires parfois si amères contre certaines pratiques religieuses que vous condamnez sans ménagement.

PIERRE. — C’est bien simple : la religion ne m’a jamais laissé indifférent. Longtemps, j’ai défendu tout dans notre Église et dans les conséquences visibles de son enseignement. Puis, en regardant de plus près, bien des choses m’y ont déplu, parce que

  1. C’est la conclusion d’un sociologue bien éloigné des idées religieuses : « Ce que la religion a seule donné à l’homme, c’est un état d’esprit comportant le bonheur. Aucune philosophie n’y a réussi jusqu’à présent. » Le Bon, Lois psychologiques de l’évolution des peuples, p. 145.