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de l’humanité catholique… Au moyen de cette foi, l’Église a réparé le mal causé à l’enseignement populaire par un trop faible souci de l’Evangile… Je puis le dire : Elle a été pour moi une seconde mère. Quand je gardais les troupeaux sur le haut pâturage, et que de lourds orages s’élevaient au ciel, je voyais dans les nuages dorés la frange de son manteau. Quand, aux dernières lueurs du soir, je regardais la lune en son éclat, Elle s’y appuyait pour me sourire en disant : « Va, mon enfant, dormir au nom de Dieu[1]… » Et ces litanies passionnées se poursuivent pendant des pages, sous la plume de l’écrivain déjà vieillissant, car ces lignes sont parmi les dernières qu’il ait publiées. — On pourrait lui appliquer ce trait de l’un de ses personnages[2] : « Avec la grâce, la ferveur, et la dévotion d’un Mimnesaenger inspiré de Dieu, il disait aux fidèles la beauté, la virginité, la dignité céleste, la pitié, l’amour de Marie. » Et, dans la plus rationaliste de ses œuvres de jeunesse, le Repos du Dimanche, on rencontre soudain sous la plume de cet iconoclaste un morceau comme celui-ci : « La foi de l’enfant passe comme la rosée. Qu’elle s’éloigne donc ! Mais il est une croyance qui ne me quittera jamais, la foi dans la glorieuse image de la Vierge céleste… Que ton intercession bénie nous puisse sauver du désespoir sur la sombre voie !… Laisse vivre à jamais dans le cœur des hommes ta douce image. »

Enfin, il nous a confié, certain jour[3], l’un de ces cauchemars qui sont le tourment de son organisation nerveuse, un rêve bizarre dans lequel il lui semblait que la lumière eût pour jamais quitté ce monde de tristesses : « Effrayé, je cherchais les consolations de l’art, j’écoutais les accens pénétrans de la musique ; mais toujours, je pensais malgré moi : il fait sombre. Je contemplais les sculptures des Grecs et, malgré tout, je médisais : le soleil nous a abandonnés et je demeure triste jusqu’à la mort. J’errais donc sans répit par les rues désertes des villes et par les solitudes également mornes. Mais voici qu’entre de redoutables entassemens de rochers, j’aperçois une petite chapelle sous le scintillement muet des étoiles. J’entre, et j’y vois, doucement éclairée par deux cierges, une admirable image. C’est la Mère avec l’Enfant, Marie avec le Sauveur dans ses langes. Je

  1. Mein Himmelreich, « Notre chère Dame. » Leipzig, 1901.
  2. Buch der Novellen, « III, Marie dans la Misère. »
  3. Allerlei Menschliches, « l’Image sainte. »