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la mansuétude chrétienne, et, ajouterons-nous, de se réfuter plus nettement soi-même, si le fait que Rosegger n’est pas dans les ordres ne modifie guère la portée et le retentissement de ses objections ?

Mais peut-être, c’est là du moins notre sentiment personnel, ses plus belles figures de prêtres ont-elles été tracées par lui dans cette nouvelle dont nous avons dit le début, tragique, la Mère des fleurs. La pauvre folle, qui a tué ses enfans par scrupule religieux, en a laissé un vivant contre sa volonté. Le curé du village, silhouette exquise de naïve bonté, recueille et fait instruire le petit abandonné, qui devient un prêtre à son tour, et, retrouvant sa mère coupable au moment où elle est sur le point d’aller rendre ses comptes à Dieu, lui ouvre enfin les yeux sur sa folie. Car, montrant en sa personne le saint qu’est devenu l’un de ces polissons jadis condamnés par elle dans son aberration, il établit clairement aux regards de la mourante cette belle théorie optimiste que les desseins de la Providence sont impénétrables, et que nul ne doit se faire l’instrument de la justice de Dieu. Telle est la morale de ce tragique, hasardeux, et pourtant si noble récit.

Outre la haute estime toujours conservée par lui au prêtre digne de ce nom, il est un lien sentimental qui a maintenu une union secrète entre l’écrivain tourmenté de scrupules rationalistes et le culte catholique de ses pères. Nous voulons dire un amour filial pour la Vierge mère, dont le clair rayonnement n’a jamais subi d’éclipsé en son cœur ; et dont la chaleur fut renforcée peut-être par cette tendance éminemment celtique, la vénération de la femme. Que de fois Rosegger l’a célébré, « ce doux culte de Marie, parfumé d’un souffle de mai ; âme véritable, salutaire et divine du catholicisme, qui lui assure des millions de fidèles. » Culte bien fait pour ces âmes timides qui n’osent affronter le sévère visage du Christ couronné d’épines, futur juge des vivans et des morts, mais préfèrent trouver asile et paix auprès d’un cœur maternel[1].

Ne croirait-on pas rencontrer un écho de la dévotion tendre et émue que nous avons signalée chez son père dans ces réflexions : « Incommensurable en surface comme en profondeur est la mer de béatitude que la foi en Marie a versée dans le sein

  1. Dorfsuenden, « le Refuge des pécheurs. »