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spirituelle essayiste lui reprochait récemment en Allemagne d’avoir inauguré, dans la littérature moderne, la « position agenouillée devant la femme[1]. » Ajoutons sans retard qu’en Rousseau, il se mêle à cette rare impression psychique un élément sensuel malsain qu’on ne remarque certes pas en Rosegger. Mais l’état d’âme a néanmoins quelque analogie, n’est-il pas vrai ? Et, en étendant un peu la portée de cette sensation obscure et raffinée, ne pourrait-on dire que le poète styrien semble parfois ne pécher contre l’Église sa mère que pour sentir plus profondément sous la tristesse de ses regards et l’amertume de ses reproches le lien de tendresse indissoluble qui l’unit malgré tout à la confession de son enfance ?

Bien d’autres rapprochemens se présentent encore entre les deux penseurs qui nous occupent. C’est la timidité de leur caractère renfermé, qui redoute par instinct la blessure de contacts brutaux : « Dans le calme, dit Rousseau, la crainte et la honte me subjuguent à tel point que je voudrais m’éclipser aux yeux de tous les mortels. S’il faut agir, je ne sais que faire ; s’il faut parler, je ne sais que dire : si l’on me regarde, je suis décontenancé. » Combien de fois Rosegger n’a-t-il pas fait des aveux analogues ? C’est encore, coïncidence plus particulière, ce pressentiment d’une mort prochaine qui pesa de part et d’autre sur leur délicate adolescence. On sait l’ « accident » de Jean-Jacques aux Charmettes, cette crise violente en toute sa personne, qui fut suivie d’une sorte d’abandon résigné aux soins de sa « maman, » et d’une attente quotidienne de la mort. Rosegger a écrit de son côté[2] : « Dès mon enfance, j’ai été dirigé, ou plutôt égaré par une idée bizarre. J’avais, en tout temps, la conviction que ma vie serait courte, et que, par suite, inutile était tout effort vers une condition meilleure. J’ai donc vécu constamment alors dans une sorte d’indifférence rêveuse, attendant avec résignation le trépas à chaque année nouvelle, ou même durant toute indisposition passagère[3]. »

Dirons-nous cette avidité de lecture, également frappante chez les deux enfans ; l’un consacrant ses quelques deniers à l’achat de calendriers populaires, l’autre portant chaque dimanche

  1. Voyez notre étude sur Mme Laura Marholm Revue des Deux Mondes du 15 août 1899.
  2. An. Wanderstabe, p. 393.
  3. Renan a passé par les mêmes sentimens (Voyez Feuilles détachées, p. 129).